«A tous ceux qui parlent d’exclure la Grèce de l’espace Schengen, je dis que cela ne résoudra pas la crise des migrants.» Ces propos ont été tenus par le président du Conseil européen, Donald Tusk, le 16 février à Athènes devant le premier ministre grec Alexis Tsipras. Deux jours avant un sommet européen qui s’annonce houleux sur la question des migrants, l’émissaire des 28 a même insisté: «Soyons clair, exclure la Grèce de l’espace Schengen ne résoudrait aucun de nos problèmes».

Un léger sourire a pointé sur les lèvres d’Alexis Tsipras. Donald Tusk provient d’un des quatre pays du «groupe de Visegrad» (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie). Une entité qui exprime régulièrement des positions hostiles à la politique migratoire de la chancelière allemande, Angela Merkel, jugée trop généreuse à l’égard des réfugiés. Ces Etats ont d’ailleurs établi un «plan B», à savoir la construction d’un mur aux frontières gréco-bulgare et gréco-macédonienne. La première ministre polonaise, Beata Szydlo, a beau assurer que ce plan ne ciblait aucun pays, il est évident que sa mise en œuvre aurait pour conséquence d’isoler une Grèce… déjà acculée.

Un million de réfugiés en 2015

Principale porte d’entrée dans l’Union européenne (UE) pour les migrants et réfugiés venant du Proche-Orient, la Grèce a vu plus d’un million d’entre eux transiter par son territoire en 2015. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), elle en a déjà vu passer plus de 76 600 cette année depuis le 1er janvier. Tous sont en quête d’une vie meilleure. Et pratiquement aucun d’entre eux ne souhaite s’établir en terre hellène. Ils visent l’Europe du Nord, perçue comme un eldorado.

S’il revient à la Grèce de gérer le flux de migrants, c’est parce qu’elle est membre de «l’espace Schengen». Cette zone de libre circulation des personnes regroupe aujourd’hui 26 États. Ironie de la géographie, la Grèce ne partage aucune frontière avec les autres Etats liés par cet accord. Ce pays fait donc office de porte d’entrée dans l’Union européenne tout en étant isolée d’elle. En outre, le nombre d’îles et d’îlots grecs est incalculable et le pays compte plus de 200 km de frontières maritimes, peu aisées à surveiller, avec la Turquie. Or, 2,5 millions de candidats à l’exil, Syriens, Irakiens, Afghans… attendent actuellement en Turquie un passage vers une des îles grecques.

La menace d’une sortie de Schengen

Les institutions européennes font elles aussi planer sur Athènes la menace d’une sortie de Schengen. Ainsi, le 27 janvier, la Commission européenne a lancé une procédure contre les autorités hellènes invoquant, selon les termes du commissaire européen Vladis Dombrovskis, «de graves déficiences aux frontières extérieures qui doivent être surmontées».

Un rapport d’évaluation réalisé entre le 10 et le 13 novembre 2015 par des équipes de Frontex (les gardes-frontières européens) affirmait que la Grèce aurait «négligé ses obligations». Le pays est considéré comme le maillon faible du dispositif européen: les contrôles y seraient défaillants, notamment en matière d’identification de possibles suspects, et les relocalisations des réfugiés (c’est-à-dire leur transfert avec leur assentiment vers un autre Etat-membre) pas effectives… Ciblé: le retard de construction des «hotspots». Un seul de cinq centres d’identification et d’enregistrement, décidés par les Européens, est à ce jour entré en service, celui de Lesbos.

Un moyen de mettre la pression sur la Grèce? C’est possible. «Comme pour l’euro, il suffit d’agiter la menace d’une sortie pour que le gouvernement prenne les bonnes décisions et agisse», a confié sous couvert d’anonymat un diplomate européen de haut rang. En réalité, la pression monte… des deux côtés. Le 16 février, une mission française d’expertise a débarqué à Athènes pour évaluer les progrès faits par Athènes dans la mise en place des politiques européennes et pour définir le soutien juridique, économique et matériel à apporter.

Quatre «hotspots» prêts

«Le jeu de renvoyer les responsabilités sur la Grèce est terminé», a estimé le même jour le ministre de la Défense, Panos Kammenos. Pour ce dernier, Athènes a accompli les progrès substantiels que lui réclamaient ses partenaires avant le sommet de l’UE. En outre, quatre des cinq hotspots seraient «prêts à fonctionner». «La Grèce a honoré ses engagements, nous attendons que l’autre partie le fasse», a renchéri son ministre adjoint, Dimitris Vitsas, tout en mettant en garde les Européens contre la tentation de «s’enfermer chacun dans son petit château fort qui tombera».

Face à l’incapacité des Européens de s’accorder sur une politique commune et de l’appliquer, l’OTAN a été appelée à la rescousse. «C’est mieux que de sauter sur sa chaise en répétant: «hotspot, hotspot». Arrêteront-ils les flux?», ironise un diplomate européen. Une pique au ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve qui avait souligné la nécessité de les implanter au plus vite lors de sa visite en Grèce, les 4 et 5 février. Ils sont désormais prêts. L’OTAN devrait patrouiller en mer Egée.

«Les Européens veulent présenter des solutions pour gagner du temps. Mais tôt ou tard, ils seront dans la même situation. Et il faudra trouver quelqu’un d’autre à blâmer tant la situation est insoluble», explique Dimitris Christopoulos, vice-Président de la FIDH. 2,5 millions de réfugiés attendent en Turquie. Les guerres, en Syrie notamment, se poursuivent. L’exode aussi. «Ils trouveront d’autres voies», prévient le juriste. Mais le parti au pouvoir en Grèce, Syriza, traditionnellement opposé à l’OTAN et favorable à une gestion non militaire de la crise des migrants, semble avoir dû céder et accepter le plan d’Angela Merkel, plutôt que de se retrouver isolé sur la scène européenne.