Giovanni Brusca, sanguinaire, repenti et libre
Italie
AbonnéLe boss mafieux est sorti de prison après vingt-cinq ans de réclusion. Coupable d’au moins 150 meurtres et de l’attentat contre le juge Giovanni Falcone, il a expié sa condamnation grâce à une réduction de peine accordée à ceux qui collaborent avec la justice

«J’ai commis et ordonné personnellement plus de 150 crimes. Aujourd’hui encore, je ne réussis pas à me rappeler, un à un, tous les noms de ceux que j’ai tués. Bien plus de 100, certainement moins de 200», avouait à la justice italienne celui qui est surnommé, en sicilien,’u Verru, le porc, ou encore ’u scannacristiani, le tueur de personnes. Giovanni Brusca, le plus violent des mafieux, est sorti de prison à Rome lundi dans l’après-midi après vingt-cinq années d’incarcération. Sa libération conditionnelle a été anticipée d’un an pour bonne conduite. L’homme de 64 ans vivra ces quatre prochaines années sous surveillance.
La nouvelle a soulevé une vague d’indignation. La classe politique, de gauche comme de droite, a vivement critiqué une nouvelle pourtant attendue. Il s’agit d’un «poing à l’estomac» pour Enrico Letta, le secrétaire du Parti démocrate. «C’est dégueulasse, a lâché Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue. Que doit-on faire de plus pour rester en prison à vie?»
Ils condamnent ainsi la législation récompensant ceux qui collaborent avec la justice. Ceux-ci veulent «prendre la tête d’une bataille qui risquerait d’annuler la lutte contre Cosa Nostra, la ’Ndrangheta et la Camorra», prévient le quotidien Il Fatto Quotidiano. «Sans réductions de peine, et surtout sans la garantie d’être protégé avec ses proches, pourquoi un mafieux devrait s’accuser d’attentats et de crimes horribles, mettant en cause d’anciens partenaires et exposant sa propre famille au risque de se faire assassiner?» se demande le journal.
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Etrangler un enfant
Le premier repenti de poids de la mafia sicilienne, Tomasso Buscetta, dont les déclarations ont rendu possible le «maxi-procès» de Palerme contre Cosa Nostra dans les années 80, a vu exécuter 35 de ses proches sur ordre du parrain des parrains, Totò Riina. Pour faire taire le collaborateur de justice Mario Santo Di Matteo, la pieuvre a enlevé son fils avant de l’étrangler et de le dissoudre dans l’acide. Le responsable de la mort du jeune garçon n’est autre que Giovanni Brusca.
Giuseppe Di Matteo a 12 ans lorsqu’il est enlevé. Il est emporté en novembre 1993 par des hommes habillés en agent de la DIA, la Direction d’investigation antimafia. Il est retenu en otage jusqu’en janvier 1996 lorsqu’il est assassiné dans la campagne au sud-ouest de Palerme, en Sicile. Il était détenu près de San Giuseppe Jato, l’un des fiefs de Cosa nostra avec Corleone et d’où est originaire Giovanni Brusca. Cet épisode seul témoigne de la violence de l’homme, né le 20 février 1957. Fils du chef mafieux de la localité, il prend sa place en 1991 après deux décennies de crimes au service de l’organisation menée par son parrain, Totò Riina. Il commet son premier homicide pour ce dernier à l’âge de 19 ans. Il vivra cinq ans en cavale avant d’être arrêté en 1996.
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Il se cache près d’Agrigente avec son frère Enzo et leur famille. Les forces de l’ordre identifient la cachette grâce au vrombissement de la moto d’un agent, entendu lors d'une écoute téléphonique. Lors des interrogatoires, le criminel tente dans un premier temps de discréditer les repentis et l’antimafia avant de commencer à coopérer vraiment et de devenir officiellement collaborateur de justice en 2000. Ce repentir est «marqué par un long travail intérieur,» affirme dans L’Espresso Lirio Abbate, fin connaisseur du phénomène. Le journaliste cite le mafieux: «Ce n’est pas un choix facile. Je mets dans la balance l’histoire de ma famille, devoir accuser les autres, le jugement qu’aura de moi mon père», mort en prison.
La loi du juge Falcone
Lors de ses témoignages, il évoque sa participation comme artificier dans l’attentat contre le juge sicilien Rocco Chinnici en 1983, il détaille la décision de Totò Riina en 1991 de mener une stratégie terroriste contre l’Etat, il évoque les négociations ouvertes en 1992 entre son organisation et les institutions ou encore son objectif «d’arriver jusqu’à Silvio Berlusconi», alors entrepreneur à succès dont les liens avec la mafia sont attestés dans les sentences ayant condamné définitivement en 2014 l’un de ses proches les plus fidèles, Marcello Dell’Utri, pour «concours externe en association mafieuse». Mais parmi les innombrables crimes qu’il confesse, les magistrats retiennent surtout l’attentat contre le juge Giovanni Falcone.
Le 23 mai 1992, Giovanni Brusca se trouve sur une colline de Capaci, près de Palerme. Dans sa main, la télécommande pour faire exploser la voiture du magistrat, non loin. L’épouse du juge, Francesca Morvillo, et trois hommes de son escorte périssent également dans l’attentat, qui marquera l’histoire contemporaine italienne et la lutte contre la mafia. «J’ai tué Giovanni Falcone», confessera le mafieux repenti. La victime est à l’origine du texte législatif permettant à son bourreau de sortir de prison trois décennies plus tard. Sa libération ce 31 mai est «une nouvelle qui me fait mal humainement, mais c’est la loi, a réagi la sœur du juge, Maria Falcone. C’est la loi qu’a voulue mon frère et qu’il faut donc respecter.»