Une commedia dell’arte populiste et antisystème se déroule sur la scène du parlement italien. Arlequin et Scaramouche entourent un premier ministre impassible et déterminé, écouté par un parterre de sénateurs. Le premier est béat, heureux d’être épargné par Giuseppe Conte. Le second réagit de manière provocatrice à la longue diatribe que lui a réservée son chef: il lève les yeux au ciel, secoue la tête ou sourit. Les leaders du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de la Ligue, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, ne semblent pas prendre la mesure de la gravité des mots prononcés par le président du Conseil: après une heure de discours, ce dernier annonce qu’il présentera dans la soirée sa démission au président de la République, Sergio Mattarella.

L’avocat inconnu devenu garant d’une coalition inédite il y a quatorze mois a donc mis un terme à l’expérience des populistes et des antisystèmes au pouvoir. Il n’a pas digéré la décision de Matteo Salvini de lui retirer sa confiance le 8 août dernier. Il a accusé le leader de la Ligue d’avoir prouvé qu’il poursuivait «seulement ses intérêts personnels et de parti», de n’avoir que la volonté d’augmenter sa popularité avec la conséquence de «trahir l’intérêt national» de l’Italie. Le premier ministre, d’habitude aussi calme que Matteo Salvini est agité, a accusé son ministre de manquer de «culture constitutionnelle» et l’a traité d’«irresponsable et opportuniste».

En se tournant ensuite vers le leader de la Ligue, assis à sa droite, Giuseppe Conte a pris les airs d’un père excédé par les actions d’un fils rebelle. Que ce dernier invoque des élections anticipées dans l’espoir d’obtenir les «pleins pouvoirs» inquiète fortement le premier ministre. Sans l’affirmer, il laisse entendre qu’il n’a pas du tout apprécié la référence mussolinienne mais se réjouit que le système politique italien dispose aujourd’hui des «poids et contrepoids» nécessaires pour éviter «toute dérive autoritaire».

Critiques personnelles

Les observateurs politiques attendaient un discours très dur du président du Conseil contre le responsable de la crise. Mais ils n’avaient pas prévu des critiques si personnelles. Giuseppe Conte a par exemple regretté avoir dû se présenter devant le parlement pour s’expliquer sur le scandale des présumés financements russes à la Ligue à la place du principal intéressé qui, de plus, a refusé de lui fournir les informations requises.

Tous les coups sont permis ce mardi. Le premier ministre ne s’empêche ainsi pas de sortir du cadre strictement gouvernemental lorsqu’il s’en prend à l’habitude de Matteo Salvini de brandir des signes religieux durant ses meetings électoraux. «Ces comportements n’ont rien à voir avec le principe de liberté de conscience religieuse, ce sont plutôt des épisodes d’inconscience religieuse, lance-t-il en se tournant vers «Matteo». Cela risque de vexer les croyants et, dans le même temps, de salir le principe de laïcité, trait fondamental d’un Etat moderne.»

Matteo Salvini fait alors de la commedia dell’arte un théâtre des gestes et des symboles. Il n’a que faire des avertissements de son désormais ancien chef. Lorsqu’il entend ces mots, il lève les bras au ciel, secoue la tête, plonge la main dans sa poche et, après avoir regardé autour de lui, embrasse un crucifix. Les références à la foi sont légion durant ses meetings et ne manquent pas au sein du parlement.

Motion de défiance retirée

Le chef de la Ligue a un droit de réponse car, après l’intervention de Giuseppe Conte, plusieurs heures de débats sont prévues. Les sénateurs ne devront toutefois pas se prononcer sur la motion de défiance déposée par la Ligue contre le gouvernement car, devenue inutile avec la démission, le parti l’a retirée. Matteo Salvini quitte les bancs du gouvernement pour rejoindre son siège de sénateur. «Je referais tout ce que j’ai fait», lâche-t-il d’emblée.

Il s’excuse ensuite auprès du président du Conseil sortant, car il ne savait pas que, un an durant, il avait dû «supporter un homme dangereux, autoritaire, inquiétant, opportuniste, inefficace, inconscient». Matteo Salvini réitère ce qu’il fait le mieux: provoquer. «Même si je suis dangereux et autoritaire, j’ai rendu l’Italie plus sûre», se réjouit-il, fier qu’aujourd’hui encore les ports italiens soient fermés, dans une référence au Proactiva Open Arms, le bateau de l’ONG espagnole du même nom arrêté au large de Lampedusa depuis vingt jours.

«J’ai fermé les ports et je le referai si le bon Dieu et les Italiens me redonnent la force de retourner au gouvernement», lâche-t-il encore. Mais Matteo Salvini pourrait plutôt invoquer le président de la République, le seul à pouvoir décider de dissoudre les Chambres après avoir reçu la démission de Giuseppe Conte.