Publicité

«Grâce à nous tous, Notre-Dame peut ressusciter»

Pour les milliers de badauds agglutinés, mardi, aux abords de Notre-Dame, la reconstruction de la cathédrale sera «le chantier du siècle». Un chantier qui, une fois élucidées les raisons de l’incendie, pourra peut-être permettre de panser les plaies françaises

Les ravages de l'incendie, au coeur de Notre-Dame, n'ont pas tout emporté, Paris, France, 16 avril 2019.  — © Christophe Petit Tesson Pool via AP Photo
Les ravages de l'incendie, au coeur de Notre-Dame, n'ont pas tout emporté, Paris, France, 16 avril 2019.  — © Christophe Petit Tesson Pool via AP Photo

Cinq ans de travaux

«Nous sommes un peuple de bâtisseurs, a asséné Emmanuel Macron. L’incendie de Notre-Dame nous rappelle que notre histoire ne s’arrête jamais»

Autre leitmotiv du président français: «Changer cette catastrophe en occasion de devenir meilleurs tous ensemble […] Il nous revient de retrouver le fil de notre projet humain, passionnément français.» Un conseil des ministres dédié à Notre-Dame se réunit ce mercredi

Les chaises de l’église Saint-Séverin, à quelques centaines de mètres de Notre-Dame sur la rive gauche de la Seine, n’ont pas désempli de la nuit. A terre, des cartons de boissons, biscuits et fruits ont été déposés par le gérant de la supérette voisine, alors que les Salve Regina se font encore entendre dans le chœur. Il est près de midi, ce mardi à Paris, et la silhouette noircie de Notre-Dame se profile au dehors. Traces de fumée sur la rosace de vitraux sud et les deux beffrois. Toiture écroulée sous le carcan d’échafaudages toujours en place. Plus de 200 tonnes de zinc et de plomb fondus, en plus de 500 tonnes de charpente, dans l’incendie le plus violent de l’histoire presque millénaire de cette cathédrale, dont la première pierre fut posée en 1163.

Nos derniers articles sur l'incendie 

Nos lecteurs et Notre-Dame: «Soudain, mon grand-père se tait, et nous faisons face à cette magnifique rosace»Au Festival de Pâques, Renaud Capuçon a rendu hommage à Notre-Dame, sans perdre sa joie L’incendie entre lundi et mardi, en images. Thomas Büchi, maître charpentier genevois: «Face à Notre-Dame, mon cœur saigne...»   Notre revue de presse: Notre-Dame dévorée, et toutes les larmes de Paris outragé

© Christophe Petit Tesson/Pool via Keystone
© Christophe Petit Tesson/Pool via Keystone

Thierry et son groupe de choristes se trouvaient là lundi soir, vers 18h30, lorsque le public présent à l’intérieur de la cathédrale a été évacué. La messe de cette première journée pascale venait d’être interrompue par une alerte que le prêtre, au début, a ignorée. Un quart d’heure pour vider l’édifice puis découvrir le pire: un départ de feu dans le dédale des poutres de la charpente, surnommée la «forêt». «Nous avons tout de suite commencé à prier, se souvient l’une des fidèles, septuagénaire. Et les visiteurs ont commencé à franchir la Seine et à affluer ici, à nous rejoindre, à chanter avec nous…»

La messe de Pâques aura lieu à Saint-Eustache

C’est dans une autre église du cœur de Paris, Saint-Eustache, dans le quartier des Halles, que se tiendra vendredi la messe de Pâques, célébrée par l’archevêque de la capitale, Mgr Aupetit. Un choix douloureux, une déchirure pour tous ceux qui pensaient encore, ce matin, pouvoir pénétrer en fin de semaine dans le bâtiment éventré par la chute des poutres enflammées, sous la voûte à ciel ouvert, pour y célébrer le premier office de sa «résurrection».

© Martin Bureau/AFP Photo
© Martin Bureau/AFP Photo

Impossible. Au moins 72 heures seront indispensables pour sécuriser les abords immédiats du site. Sur le parvis, devant une nuée de caméras disposées tout au long d’une des nuits les plus longues de Paris, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Laurent Nuñez, confirme l’extrême dangerosité des lieux. Cinq immeubles d’habitation ont dû être évacués. Les deux beffrois rescapés, noircis par les fumées, semblent soupirer, comme soulagés. Débarrassée des milliers de touristes sur son parvis et dans l’île de la Cité, clôturée par la police, Notre-Dame offre son flanc de grande blessée dans un inhabituel silence. A «un quart d’heure près», les flammes, lundi soir, dévoraient ses deux tours. Une vingtaine de pompiers, montés dans leurs escaliers, y ont, entre 21h et minuit, affronté le feu en direct, presque au corps à corps. Puis l’incendie a reculé, chassé de cette façade dont Victor Hugo avait, dans son roman épique, déjà imaginé la meurtrière destruction.

© Charles Platiau/Reuters
© Charles Platiau/Reuters

Ce quart d’heure-là a tout changé. Incontrôlé, l’incendie menaçait de broyer la «structure» aujourd’hui rescapée, qu’il faudra étayer et consolider d’urgence. Désormais, un trou béant s’offre au regard derrière les deux tours. La voûte est exposée, déchirée, surplombée par les échafaudages tordus, trouée par la chute de la flèche, un peu avant 21h. Juchés sur des nacelles au bout de grues, pompiers et architectes examinent les dommages et descellent les dernières statues. Les ultimes lances anti-incendie se sont tues mardi, vers 10h du matin. Au sol, des nappes d’eau mêlées de cendres recouvrent le bitume. «Si l’un des beffrois était tombé, nos espoirs se seraient fracassés», admet Pauline Ndiaye, une étudiante sénégalaise venue se joindre, sous la voûte gothique de Saint-Séverin, à ce groupe de fervents catholiques.

L’espoir après l’effroi

Car l’espoir est au rendez-vous. A Paris ce mardi, au pied de l’immense cathédrale mutilée, chacun s’échange informations et anecdotes pour mieux se prouver que la force de l’Eglise et de la foi ont triomphé du mal. Un résident de la rue Saint-Jacques, juste à côté de Saint-Séverin, montre à tous, sur son téléphone portable, les images de l’évacuation, le 11 avril dernier, des statues des 12 apôtres et des quatre évangélistes, juchés jadis sur le toit de Notre-Dame aujourd’hui écroulé. Toutes devaient être restaurées. Elles se trouvaient donc en lieu sûr lorsque le feu a pris dans des conditions encore inconnues, mais probablement «accidentelles».

© Christophe Petit Tesson/Pool via Keystone
© Christophe Petit Tesson/Pool via Keystone

Jacques, un serveur du Bistrot Saint-Michel resté ouvert toute la nuit, face au parvis, confirme à des touristes japonais que les vitraux de la rosace nord, la plus exposée à l’incendie, du côté de l’Hôtel de Ville, sont restés intacts. A chacun sa nouvelle positive, malgré la destruction des deux tiers du toit et la voûte qui devra, d’urgence, être renforcée. Un prêtre montre l’image de l’autel, miraculeusement indemne au cœur du transept, sous un amas de poutres noircies. La croix, tendue au-dessus par un câble, n’a pas bougé. Le mot «miracle» vient sur toutes les lèvres.

Autre miracle: le fait que le grand orgue de la cathédrale, avec ses cinq claviers et ses 3000 tuyaux, soit apparemment intact, seulement inondé par les pompiers. Idem pour les deux reliques les plus précieuses: la couronne d’épines du Christ et la tunique de Saint Louis, monarque capétien, principal fondateur de l’édifice dont il consacra le gros œuvre, en 1245, au retour de croisade. Portées dans la nuit à l’Hôtel de Ville de Paris, elles rejoindront bientôt le reste du trésor, exfiltré dans la nuit vers le Louvre.

Résurrection et espoir

La «résurrection»: cet autre mot court le long des quais de Seine, où chacun veut voir, dans la reconstruction annoncée, un signe d’espoir pour la France, pour l’Eglise et pour l’Europe. La mise entre parenthèses de la tumultueuse vie politique française, confirmée par Emmanuel Macron à 20h à la télévision, ravit presque les passants. Personne, parmi les Parisiens agglutinés sur les quais, ne se soucie des annonces présidentielles avortées de lundi, reproduites mardi après-midi dans la presse. Baisse d’impôts, réforme du scrutin législatif, suppression possible de l’Ecole nationale d’administration honnie… «On s’en fiche. Un jour comme celui-ci doit être dédié à notre mémoire commune. C’est bien plus important. La France est là. Grâce à nous tous, Notre-Dame peut ressusciter», s’exclame un photographe amateur, appareils en bandoulière.

Chacun parle d’histoire, de littérature, de Victor Hugo, de souvenirs partagés au pied de cette église dont les guides rappellent aux touristes qu’elle est le cœur géographique de la France, puisque c’est de là que partent les distances kilométriques calculées à partir de Paris. Tout un peuple est au chevet de Notre-Dame. Tout un peuple veut la revoir debout «au plus vite», alors que les autorités parlent déjà de longues années de restauration et de travaux.

Deux étudiants en architecture partagent avec nous la meilleure manière, selon eux, de restaurer la «dame»: avec des arches de béton et d’acier, comme cela fut le cas pour la cathédrale de Reims, détruite par les bombardements de 1914-1918 et reconstruite grâce à la générosité du mécène Rockefeller. Voire. La collecte nationale, ouverte par la Fondation du patrimoine, est dans tous les esprits. La déshérence du patrimoine national religieux, coincé entre l'Etat et l'Eglise, est jugée «désolante». Oui, ressusciter.

Une enseignante passe à proximité, avec un groupe de lycéens de province. Eux aussi devaient, ce mardi, visiter Notre-Dame. Et tous semblent plonger dans les feuilles de documentation distribuées de bon matin, dans leur bus, par leur professeure. Ils ont entre 15 et 18 ans. Tous se disent croyants, chrétiens ou musulmans. Tous regardent Notre-Dame, convalescente mitraillée par des milliers de téléphones portables. Il fait gris sur Paris. Tous ces jeunes se disent que cette reconstruction sera, pour sûr, «celle de leur génération». Les noms des personnalités qui firent la gloire mémorielle de l’édifice, de Napoléon à Charles de Gaulle en passant par tous les rois de France, ne leur disent pas grand-chose. Silence gêné. Jusqu’à ce que l’un d’eux se risque: «On a compris que c’était Notre-Dame pour tous. C’est de l’histoire. C’est un peu la maison France. Finalement, ce genre de catastrophes nous fait prendre conscience de ce que nous sommes.» La résurrection attendue de Notre-Dame sera peut-être, demain, ce ciment national que la France attendait.

«Reconstruire à l’identique, on n’y arrivera jamais»: 4 questions sur les défis à venir

Emmanuel Macron a promis que le chantier durerait cinq ans. Les questions sur l’incendie, les possibilités et les limites de la reconstruction, l’ampleur des dommages demeurent. Des experts répondent

Qu’a-t-on appris depuis lundi soir?

En direct à la télévision mardi soir, Emmanuel Macron n’est pas revenu sur les circonstances du départ des flammes, objet de l’enquête pour «destruction involontaire» du parquet de Paris. Or elles restent loin d’être élucidées. Le déroulement des événements? Il est 18h20 lorsque retentit, lundi, la première alerte incendie. La messe de 18h15 commence tout juste en ce premier jour de la Semaine sainte. Consigne est donnée d’évacuer la cathédrale tandis que des pompiers se rendent sous les combles. Aucun feu n’est signalé.

Le répit sera de courte durée. Seconde alerte à 18h43. Cette fois, des flammes sortent des combles, au niveau de l’échafaudage qui, depuis quelques semaines, enserre la flèche construite lors de la rénovation menée, entre 1844 et 1864, par Viollet-le-Duc. La charpente enflammée n’était pourtant pas concernée par les travaux, consacrés à cette flèche altérée par le temps. Officiellement, toutes les précautions avaient été prises. Aucun fil électrique n’était autorisé dans la «forêt» de poutres. Des produits chimiques pour traiter les bois et les sculptures y étaient en revanche entreposés. Entre l’Eglise et l’Etat, propriétaire du bâtiment mais sans ressources, les différents sur les frais d’entretien étaient récurrents. Beaucoup d’experts jugeaient Notre-Dame «déliquescente».

Que s’est-il passé entre 17h, lorsque les ouvriers des cinq entreprises impliquées ont quitté les lieux, et ce moment fatidique où le feu s’est déclaré? Une dizaine d’ouvriers ont déjà été auditionnés par la police. Le procureur de Paris Rémy Heitz a affirmé mardi que «rien ne va dans le sens d’un acte volontaire», tout en annonçant des investigations «longues et complexes».

Quelle est l’ampleur des dommages?

«Les deux tiers de la toiture de Notre-Dame ont été ravagés», a précisé le général Jean-Claude Gallet, commandant des sapeurs-pompiers de Paris. Le grand orgue «n’a pas été brûlé». Mais sa structure pourrait souffrir de dégâts infligés par le sinistre, a indiqué l’un des trois organistes titulaires de la cathédrale. Lundi soir, le feu s’est «propagé très rapidement sur l’ensemble de la toiture», sur 1000 m² environ. La structure de Notre-Dame de Paris «tient bon», a relevé le secrétaire d’Etat à l’Intérieur Laurent Nuñez. Les «vulnérabilités» identifiées dans l’édifice se trouvent au niveau de la voûte et du transept nord. Le sauvetage de la cathédrale s’est joué «à un quart d’heure, une demi-heure près». Le mystère perdurait encore, mardi, sur la sauvegarde des vitraux muraux, en dehors des trois grandes rosaces préservées. Plusieurs vitraux auraient «explosé» car le plomb qui les lie a fondu. Entre 5 et 10% des œuvres d’art seraient perdues. Symbole: le coq perché au sommet de la flèche, tombé au sol, a été retrouvé. Cabossé.

La reconstruction est-elle possible?

«Reconstruire à l’identique, on n’y arrivera jamais, répond Thomas Büchi, maître charpentier à Genève. Les chênes utilisés pour la charpente en 1250 avaient été préparés durant 50 ans: coupe en hiver, en phase de Lune descendante, 25 ans dans des marais pour les renforcer. La reconstruction à l’identique est-elle d’ailleurs souhaitable ou faut-il oser une charpente moderne? Ma religion n’est pas faite. En 2019, on ne construit pas comme en 1250. Il y aura des voix pour dire qu’il ne faut pas rebâtir le tout en bois, vu que cela brûle. Alors que l’on peut bien évidemment protéger ces structures avec des «sprinklers» [équipements d’extinction fixes à déclenchement automatique, ndlr]. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi un tel système n’avait pas été installé à Notre-Dame.»

Quels seraient le coût et le calendrier de la reconstruction?

Emmanuel Macron a fixé l’agenda: 2024 devra voir l’achèvement des travaux. Ce qui correspond à l’estimation de Thomas Büchi: «L’argent nécessaire sera vite récolté, je ne me fais pas de souci (700 millions d’euros d’annonces ont déjà été enregistrés, avec, côté privé, des dons des milliardaires Pinault, Arnault, Bettencourt ou Bouygues, de Total). Un temps d’étude sera nécessaire pour tester la solidité de la structure en pierre. Il faudra ensuite déterminer s’il faut reconstruire une flèche ou pas. Il faudra beaucoup d’abnégation, de passion, de persévérance pour reconstruire ce merveilleux édifice.»

Richard Werly et David Haeberli