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Guerre en Ukraine: pour affaiblir Poutine, l’Europe bannit le diesel russe

En coordination avec le G7, les Vingt-Sept mettent en place une deuxième salve de sanctions visant le pétrole russe. Après le brut en décembre 2022, les produits raffinés en Russie sont interdits dès le 5 février, et un prix maximum est imposé au marché

Un camion dans une station-service à Francfort, en Allemagne, le 27 janvier 2023. — © Michael Probst / AP /keystone-sda.ch
Un camion dans une station-service à Francfort, en Allemagne, le 27 janvier 2023. — © Michael Probst / AP /keystone-sda.ch

Le premier embargo du pétrole russe n’a pas engendré de bouleversement sur le marché mondial. Qu’en sera-t-il du second?

Après avoir cessé d’importer du pétrole brut russe début décembre 2022, l’Union européenne (UE), en lien avec les pays du G7 et l’Australie, s’apprête, ce dimanche 5 février, à lancer le deuxième volet de son plan, en interdisant l’importation de produits pétroliers russes raffinés, principalement du diesel mais aussi du kérosène, du fioul ou du mazout.

Cette mesure est particulièrement sensible, tant le Vieux-Continent est dépendant de la Russie pour ces produits, et plus précisément le diesel. Malgré la forte baisse des importations depuis un an, le gazole russe représente encore le quart des importations de ce carburant en Europe. Chaque jour, l’UE consomme quelque 6,4 millions de barils de diesel, alors que ses raffineries n’en produisent que 5 millions… L’équilibre est permis grâce aux importations, dont environ 700 000 barils proviennent de Russie. Le reste des besoins est couvert par les Etats du Golfe, les Etats-Unis et l’Inde.

Prix plafond pour des produits russes

En parallèle de l’embargo, les Vingt-Sept ont décidé de fixer un prix plafond pour ces produits russes, comme ils l’avaient déjà fait, à hauteur de 60 dollars (55 francs suisses environ) le baril, pour le pétrole brut russe. Pour les carburants «premium» (diesel, kérosène, etc.), le prix ne pourra pas dépasser 100 dollars le baril. Pour les produits plus simples, comme le fioul, la limite sera de 45 dollars, «afin de peser sur les revenus de la Russie, tout en maintenant un marché global fluide», précise un diplomate européen. Concrètement, les pays occidentaux interdisent aux fournisseurs de services (transport, assurance, etc.) de transporter ces produits russes au-delà du prix fixé.

Si le mécanisme est éprouvé depuis deux mois pour le brut, les Etats membres de l’UE ont néanmoins pris le temps pour s’accorder, le vendredi 3 février. Les pays baltes et la Pologne militaient en effet pour baisser davantage le plafond du brut et des produits raffinés afin de réduire davantage les revenus russes, confie un diplomate du nord de l’Europe. Mais voilà, le reste des Etats, dans l’UE ou au G7, n’entendaient pas déstabiliser le marché.

«A la mi-mars, précise une source, après une analyse globale du mécanisme en place, une décision sera prise pour savoir s’il faut modifier le niveau de prix plafond.» Selon la Russie, en revanche, cette décision «va déséquilibrer davantage les marchés internationaux de l’énergie», a prévenu, vendredi, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, assurant que Moscou «prenait des mesures pour couvrir [ses] intérêts».

Pas de risque de pénurie pour le moment

Avec ces mesures, l’UE va-t-elle manquer de diesel, de kérosène ou de fioul? «Non, elle a largement anticipé cet embargo et renforcé ses stocks ces derniers mois en accélérant les achats», rappelle Ben McWilliams, chargé de l’énergie au sein de l’institut Bruegel, un centre de réflexion. Les stocks permettent de préserver dans l’immédiat les automobilistes mais également tout le secteur du transport, de l’agriculture et de l’industrie, très dépendants de ces produits. «Cela devrait bien se passer à court terme», juge M. McWilliams.

Au rang des nouvelles sources d’approvisionnement, le Moyen-Orient, déjà fournisseur historique, sera particulièrement privilégié, pour des raisons économiques et parce que les circuits restent courts, par rapport à l’Inde, par exemple. D’ores et déjà, les raffineries du Golfe tournent à plein régime, tandis que de nouvelles usines sont en cours de construction et devraient apporter des capacités supplémentaires fin 2023.

«Par ordre de préférence, l’UE devrait d’abord se tourner vers les pays du Golfe, puis les Etats-Unis et l’Inde», estime Carmine De Franco, responsable de la recherche à la société Ossiam. Sur le seul mois de janvier, l’Europe a largement importé des produits raffinés des Emirats arabes unis, d’Arabie saoudite et des Etats-Unis. A eux trois, ils ont exporté au même niveau que la seule Russie vers l’Europe.

Carte des flux redessinée

«De son côté, la Chine achète du pétrole brut peu onéreux à la Russie pour le raffiner et augmenter ses ventes à d’autres pays d’Asie», ajoute M. De Franco, ce qui devrait permettre de «libérer des ressources sur lesquelles l’Europe pourra compter».

En effet, à l’image de ce qu’il s’est passé pour le pétrole ces deux derniers mois, la carte des flux des produits raffinés va être totalement redessinée. Pour le pétrole brut, l’Inde, la Chine, mais également l’Arabie saoudite pour son marché intérieur, ont capté de nombreuses livraisons russes à un prix inférieur au marché. Ce dernier pays a ainsi multiplié les exportations vers le Vieux-Continent.

Dans les produits raffinés, dont le transport de longue distance est plus complexe, les bateaux étant moins grands, les traders ont pour l’instant observé une redirection des flux des produits pétroliers russes en majorité vers l’Afrique du Nord et la Turquie, ce qui laisse penser que Moscou, contraint par sa flotte de tankers, privilégie des liaisons plus courtes.

Selon Viktor Katona, analyste chez Kpler, les pays du pourtour méditerranéen (le Maroc, l’Algérie, la Tunisie mais aussi l’Egypte et la Turquie) constituent des places idéales pour effectuer des transbordements. Ces opérations permettent le transfert de la cargaison d’un navire à un autre pour faire le voyage. «Le Maroc, par exemple, achète du diesel russe qu’il mélange à des produits locaux pour leur faire passer sans encombre les douanes européennes», explique cet expert.

Un risque de voir les prix augmenter

A l’inverse, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique du Sud et l’Asie ont enregistré des flux nettement moins marqués ces derniers mois. En Chine et en Inde, par exemple, les importations de diesel sont restées plus faibles (10 000 barils par jour en moyenne). Ces pays ayant reconstitué leurs capacités de raffinage sont désormais moins tentés d’importer ce type de produit.

Mais l’Europe n’est pas à l’abri d’une crise. L’IFP Energies nouvelles (ex-Institut français du pétrole) n’exclut pas «un scénario plus pessimiste […]. Si une partie du gazole russe n’est pas exportée, par contraintes liées soit aux sanctions, soit aux coûts de transport, voire par décision nationale russe de les restreindre», cela pourrait faire augmenter les prix partout.