Tarek, Ahmed et Abdulah n’ont pas mis les pieds dans un musée depuis une éternité. Les deux premiers sont des étudiants syriens. Abdulah a fui l’Erythrée. Tous trois vivent depuis plusieurs mois dans des foyers pour réfugiés de la capitale allemande. Ce mercredi, ils reprennent un peu espoir. Tarek, Ahmed et Abdulah ont répondu à l’invitation de la Fondation du patrimoine culturel prussien, qui fédère l’essentiel des musées de Berlin. Ils participent ce jour-là à une visite guidée gratuite en langue arabe du Musée de l’Histoire allemande sur l’avenue Unter den Linden.

Isber Sabrine, 30 ans, assure la visite. Isber Sabrine a quitté la Syrie voici six ans. Chemise à rayures, jeans et chaussures de ville, le jeune homme a pu poursuivre en Allemagne ses études d’archéologie et a déjà pris le chemin de l’intégration. Le petit groupe s’arrête devant un tableau représentant Germania, l’Allemagne, blonde et vêtue d’une cuirasse de métal. Les premières salles de l’exposition permanente du musée d’histoire allemande sont largement consacrées aux guerres qui ont ravagé le pays. Tarek fait quelques photos. Un tableau présentant la famille princière au grand complet – père, mère, trois garçons vêtus en matelots, une petite fille – intéresse tout particulièrement les deux Syriens. L’empereur, vient d’expliquer Isber, a visité Damas à l’époque de l’Empire ottoman. Les trois visiteurs ne connaissent visiblement rien de l’histoire allemande.

«Je connaissais Hitler, et Merkel», reconnaît Tarek. Le jeune homme, longue barbe brune, jeans, t-shirt et basket, dit s’ennuyer à longueur de journée, dans l’attente de ses papiers et de l’autorisation de s’inscrire à un cours de langue. Il espère pouvoir reprendre un jour en Allemagne les études d’économie qu’il a dû interrompre à Damas. Lorsque des bénévoles travaillant dans son foyer lui ont appris l’existence de ces visites, il s’est mis en route à travers la ville, aidé de son portable pour s’orienter.

«Dans ma visite, je mets l’accent sur la reconstruction et sur la démocratie, explique le guide. Pour les réfugiés, ça a un aspect très émotionnel. Ils se disent: ’nous aussi nous pourrons faire ça un jour chez nous’. Ils reprennent espoir».

Isber Sabrine fait partie de la petite vingtaine de guides réfugiés formés au cours des derniers mois par la Fondation pour assurer des visites guidées en arabe destinées aux réfugiés. Certains comme Isber Sabrine étaient étudiants dans leur pays. D’autres étaient déjà guides de musée. Au cours de leur rapide formation, ils ont notamment appris à retenir l’attention des visiteurs, pour éviter qu’ils ne s’ennuient.

«L’intégration par la culture», tel est le maître mot du programme baptisé «Multaka» lancé par la Fondation du patrimoine culturel prussien. Trois musées de Berlin offrent désormais chaque semaine des visites gratuites en langue arabe ou en farsi pour les réfugiés: le musée d’Histoire allemande, le Bode-Museum (consacré à l’art chrétien) et le musée de Pergame, qui regroupe notamment les très riches collections d’art islamique, les antiquités du Proche Orient et les collections d’art byzantin.

«Ce programme est essentiel, explique Hermann Parzinger, le président de la Fondation du patrimoine culturel prussien. Il permet de découvrir l’art chrétien, pour faire connaître aux nouveaux arrivants la société dans laquelle ils vivent et qu’ils doivent désormais comprendre. Le musée d’Histoire allemande montre de son côté à quel point l’Allemagne a été détruite par les guerres au cours du XXe siècle, et a pu malgré cela se reconstruire. Cela donne une perspective aux gens, pour qu’ils reprennent courage et croient en leur avenir.»

Semaine après semaine, quelque 3000 réfugiés ont participé à ces visites depuis décembre. Les visites du musée Pergame sont particulièrement prisées. «Le musée Pergame permet de découvrir les collections d’art arabe et islamique, particulièrement importantes pour des gens qui ont perdu leur terre natale et se retrouvent maintenant dans un pays étranger» explique Hermann Parzinger.

Devant la porte d’Ischtar, ramenée de Babylon par Robert Kodewey à la fin des années 20, les questions fusent. Les réfugiés veulent savoir comment ce trésor monumental a pu quitter l’actuel Irak. Zoya Masoud, une Syrienne titulaire d’un master en archéologie et en Allemagne depuis quatre ans, explique les traités signés à l’époque entre l’Empire allemand et l’Empire ottoman. «Une chance que la Porte ait échappé à la guerre», soupire l’un des réfugiés qui assiste à la visite.