En Italie, avorter est un droit... et un chemin de croix
égalité
La botte a légalisé l'IVG il y a plus de quatre décennies. Mais la loi défend aussi les objecteurs de conscience dans le milieu médical. Les femmes se heurtent ainsi souvent à cet obstacle

Le médecin Michele Mariano a pris sa retraite en fin d’année dernière, après avoir été contraint de la reporter deux fois. Cet homme de 70 ans exerçait dans le Molise, une petite région montagneuse du centre de l’Italie. Il ne réussissait pas à mettre un terme à sa carrière car il était le seul praticien non objecteur de conscience, autrement dit le seul, loin à la ronde, à garantir le droit à l’avortement. Après avoir longtemps échoué, Michele Mariano a réussi à trouver de l’aide fin 2021. Les femmes souhaitant interrompre leur grossesse dans le Molise peuvent donc désormais s’adresser à sa consœur Giovanna Gerardi, restée seule à son tour à pratiquer les IVG.
Le droit à l’avortement en Italie est limité par un nombre élevé d’objecteurs de conscience. Selon une étude réalisée et publiée mi-mai par l’association Luca Coscioni, il y a 31 structures sanitaires dans le pays où la totalité du personnel refuse d’interrompre une grossesse. L’association a aussi dénombré 130 autres établissements où au moins 80% des gynécologues, anesthésistes ou infirmiers sont réfractaires. Les derniers chiffres officiels remontent à 2019. Selon le Ministère de la santé, 67% des gynécologues refusent de pratiquer une IVG. «La situation italienne n’est guère plus heureuse que celle outre-Atlantique», commentait la presse transalpine au lendemain de la décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement.
«Un acte inhumain»
«Le choix des Etats-Unis est courageux», se réjouit au contraire Filippo Boscia, gynécologue et président de l’Association des médecins catholiques italiens. Il défend désormais avec plus de vigueur le droit de ses nombreux collègues objecteurs de conscience. «Chaque interruption de grossesse est un acte inhumain, poursuit le médecin dans un communiqué de presse. Un Etat privant de tout droit un être avant la naissance, décidant quand un fœtus devient viable en oubliant que ce fœtus est (…) l’un d’entre nous, est hypocrite.» Pour le praticien, «les jeunes femmes doivent par ailleurs être aidées durant et après la grossesse».
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Giuseppe Noia, le directeur de l’Hospice prénatal du Gemelli, le prestigieux hôpital de Rome, imagine même une société sans avortements. Dans les colonnes d’Avvenire, le quotidien des évêques italiens, il estime qu’il faut «intervenir sur les causes sociales comme la pauvreté, la solitude et les dynamiques familiales défavorables ainsi que sur les causes culturelles, comme la prétention à l’autodétermination absolue et la volonté de refuser la présence d’un enfant». Même si le médecin admet que l’abolition de l’avortement relève de l’«utopie», il évoque des pistes pour tendre vers cet objectif: «Il faut diffuser des informations médicales plus correctes, à commencer par tout ce que l’on sait sur la relation très forte entre la mère et son enfant dès la conception.» Il s’en prend enfin à la loi encadrant le droit à l’avortement, vieille de quarante-quatre ans. «Aujourd’hui, nous pouvons agir sur les problèmes et les causes, conclut Giuseppe Noia. En 1978, la vie prénatale était presque inconnue.»
La loi du Vatican
Cette année-là, le président de la République promulgua la loi 194 sur l’avortement. L’IVG devenait légale et gratuite lors des douze premières semaines de grossesse. L’avortement thérapeutique était aussi autorisé au-delà de ces 90 jours. Cette législation couronnait trois ans de campagne du Parti radical et du Mouvement de libération de la femme, aidés par un jugement de la Cour constitutionnelle affirmant en 1975 qu’il «n’existe pas d’équivalence entre le droit non seulement à la vie mais aussi à la santé de qui est déjà une personne, comme la mère, et la sauvegarde de l’embryon qui doit encore devenir une personne». Les Italiens confirmaient leur attachement à ce droit en 1981 lorsque 68% d’entre eux rejetaient un référendum abrogatif promu par le Mouvement pour la vie et soutenu par le Vatican et le pape Jean Paul II, qui appelait à la mobilisation pour défendre le droit à la vie.
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Aujourd’hui, l’association Luca Coscioni appelle à réformer cette loi, car elle défend aussi le droit à l’objection de conscience. «Qui pratique des avortements ne fait pas carrière, regrettait le Dr Michele Mariano dans les colonnes de La Repubblica peut avant sa retraite. En Italie, il y a l’Eglise. Et tant qu’il y aura le Vatican pour dicter sa loi, le problème persistera. Il y aura toujours un évêque qui appelle le politicien pour s’assurer qu’un médecin non objecteur ne soit pas promu.» Et contrairement à ce qu’affirmait le pape François en 2018, Michele Mariano n’a jamais eu la conviction d’être un sicario, un tueur à gages. «Je n’ai fait qu’appliquer la loi», conclut celui qui a aidé les femmes à accéder au droit de disposer de leur corps quarante ans durant.
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