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Jean Lassalle, le candidat «authentique» fatigué par l’état de la France

Le truculent député des Pyrénées-Atlantiques tente à nouveau sa chance à la présidentielle. Le 1,21% des suffrages recueillis au premier tour en 2017 ne l’ont pas découragé. Même si le système politique de la République l’a rendu, en cinq ans, encore plus pessimiste

Jean Lassalle: «Je sens partout la déprime. Beaucoup de gens ont l’impression que ce pays coule à pic.» — © Gaizka Iroz/AFP
Jean Lassalle: «Je sens partout la déprime. Beaucoup de gens ont l’impression que ce pays coule à pic.» — © Gaizka Iroz/AFP

Il faut entendre Jean Lassalle au comptoir du Bourbon, l’un des cafés fétiches des députés français, face à l’entrée de l’Assemblée nationale. L’élu pyrénéen, réputé pour entonner des chants de bergers à tout va, a ces jours-ci l’humeur maussade. Son étape en Bretagne, d’où il revient en ces jours printaniers, ne lui a pas donné un moral politique en granit. «Je sens partout la déprime. Beaucoup de gens ont l’impression que ce pays coule à pic. Or que puis-je leur dire pour les rassurer puisque je suis d’accord avec eux?» répond-t-il à une consœur de La Chaîne parlementaire (LCP), venue le retrouver à l’issue d’une rencontre avec les élus locaux.

Quelques minutes plus tôt, le député le plus truculent du Palais Bourbon a poussé un nouveau coup de gueule. Il a laissé entendre qu’il pourrait déserter le marathon présidentiel. A quoi bon essayer encore d’incarner la République d’en bas lorsque tout en haut, à l’Elysée, le président sortant paraît de plus en plus assuré d’un second mandat?

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Jean Lassalle a 66 ans, un passé d’élu centriste proche de l’actuel maire de Pau, François Bayrou, une pogne d’acier qui vous broie les doigts, un nez à la Cyrano au milieu de la figure et ce talent de toujours donner l’impression de vous écouter alors qu’il pense à autre chose ou à quelqu’un d’autre. Un homme politique? Oui. Mais surtout un élu: «Je porte dans mon cœur chacun d’entre vous. Vous, gens des plaines, des montagnes, des bords de mer. Vous, citadins ou provinciaux. Vous qui partez en vacances à la neige. Vous qui n’avez pas de quoi faire un plein d’essence…»

Objectif: se démarquer

Les premières phrases de son livre La France authentique (Ed. Glyphe) constituent un portrait du pays que n’aurait pas renié Augustine Fouillée-Tuillerie, l’autrice du Tour de France par deux enfants que cette enseignante publia en 1877 sous le pseudonyme masculin de G. Bruno. Jean Lassalle aime la géographie, les paysages et les mœurs provinciales plutôt que les performances des entreprises du CAC 40, l’indice boursier français, ou les derniers soubresauts de la start-up nation dont Emmanuel Macron se faisait le porte-parole durant la campagne de 2017.

Père de quatre enfants, né dans une famille d’agriculteurs de montagne, l’ancien maire de Lourdios-Ichère, commune pyrénéenne de 136 habitants (recensement de 2019) a expérimenté les grèves de la faim, une marche de 6000 kilomètres, le port du «gilet jaune» au sein de l’hémicycle, le chant a cappella dans ses meetings… Objectif: se démarquer: «La classe politico-médiatique ne supporte pas que je ne sois pas un technocrate hors-sol raconte-t-il au Temps. Mon indépendance les inquiète. Je ne suis l’obligé de personne.»

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La fable est savoureuse. Le personnage est un pur produit de la République et de sa méritocratie. Pas étonnant que, au moment où Marine Le Pen et Eric Zemmour dénonçaient le fait de ne pas avoir encore obtenu les 500 signatures d’élus indispensables pour se présenter à la présidentielle, lui serrait des mains à longueur de journée dans les mairies rurales où personne ne lui ferme la porte, bien au contraire.

Jean Lassalle lors d'un discours devant l’Association des maires de France le 15 mars à Montrouge. — © Thomas Coex/AFP
Jean Lassalle lors d'un discours devant l’Association des maires de France le 15 mars à Montrouge. — © Thomas Coex/AFP

Résultat: 642 parrainages homologués par le Conseil constitutionnel contre 622 pour Le Pen et 741 pour Zemmour. Une réussite qui ne surprend pas le politologue Pascal Perrineau, auteur d’un récent Que sais-je? sur Le Populisme: «Lassalle, c’est la vengeance des maires des petites communes. C’est la France tricolore des clochers… Mais aussi des bourgades aux rues désertées, oubliées dans les déserts médicaux. C’est à la fois le candidat du bonheur français d’hier et de la souffrance d’aujourd’hui.»

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Souffrance: le mot est bien trouvé. L’intéressé la décrit dans son essai au vitriol, exaspéré par l’état du pays réel. Il vote contre le passe vaccinal, joue la France d’en bas contre celle d’en haut: «Jour après jour, les Français sont trompés, contrôlés, manipulés. Je veux aussi parler à ces grands privilégiés et à leurs vassaux: à quoi bon demeurer dans votre exil doré, en marge du monde? Un peu de vertu et d’intérêt commun. N’est-ce pas là la vraie grandeur?»

Le refrain est entonné avec sa forte voix. L’œil se plisse et devient méchant lorsqu’on évoque devant lui les accusations de harcèlement portées par d’anciennes attachées parlementaires. Lassalle est dans le monde d’hier. Il s’y complaît. Pourquoi vouloir être à tout prix moderne alors que le bonheur est (peut-être) dans le pré?

L’âme profondément rurale

On pourrait continuer le récit sur les pentes des Pyrénées. Lui devant, avec son béret basque et ses grandes enjambées. Nous derrière, en nous efforçant de garder le rythme. Jean Lassalle a fait le coup au dessinateur Kokopello, auteur de la bande dessinée Palais Bourbon (Dargaud-Seuil). Voici l’homme aux crayons envoyé chez la mère de l’élu, contraint de goûter les plats du cru, convoyé par le député dans sa voiture qu’il préfère conduire pieds nus. Le monsieur «1%» de la présidentielle française a l’âme profondément rurale. Et il s’énerve lorsque son authenticité lui est renvoyée comme une excentricité.

L’élu fulmine de voir le parlement s’étioler sous les coups de boutoir de l’exécutif tout puissant. La politique est une drogue dure coupée par l’absence de surprise électorale, dans une campagne présidentielle travestie selon lui par les sondages en «course de petits chevaux». Jean Lassalle, le berger conservateur anarchiste à la carrure d’homme fort, rêve de la République des Trente Glorieuses, heureuse et volubile. Son verbe haut masque les caricatures. Etre authentique n’empêche ni les exagérations, ni la fatigue.

Profil

1955 Naissance à Lourdios-Ichère, dans les Pyrénées, le 3 mai.

1977 Elu maire de Lourdios-Ichère.

2002 Entre à l’Assemblée nationale.

2006 Grève de la faim pour protester contre le départ d’une usine de la vallée d’Aspe.

2012 Vote pour Nicolas Sarkozy à la présidentielle.

2021-22 Vote contre la loi établissant le passe sanitaire et vaccinal.

2022 Candidat à l’élection présidentielle pour la deuxième fois.

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