confinement
Le Conseil scientifique français recommande une prolongation du confinement actuel jusqu'au 28 avril. Emmanuel Macron, qui sera demain à Mulhouse, devrait se prononcer rapidement. Un TGV médicalisé partira mercredi de Strasbourg pour Nantes et Angers

Alors que le pays compte 22 300 cas confirmés de Coronavirus Covid-19 et 1100 personnes décédées (chiffres du mardi 24 mars), la France va sans doute rester confinée jusqu'au 28 avril. Telle est la recommandation du Conseil scientifique qui s'est réuni mardi. Le premier ministre Edouard Philippe avait déjà resserré les conditions du confinement la veille, alors qu'était publié le décret sur l'Etat d'urgence sanitaire voté définitivement dans la nuit de samedi à dimanche par l'Assemblée nationale. Il est désormais interdit en France de sortir de chez soi pour faire du sport plus d'une heure et à plus d'un kilomètre de son domicile. Les marchés extérieurs alimentaires qui étaient restés ouverts vont fermer
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D'ores et déjà, les contraventions infligées par les forces de l'ordre peuvent monter en cas de récidive jusqu'à 3700 euros, voire une peine de prison pour les cas les plus graves. Etat des lieux.
■ Le confinement décidé en France est-il un échec?
Absolument pas. Pour être à plusieurs reprises sorti de Paris depuis la proclamation des mesures strictes de confinement le lundi 16 mars par Emmanuel Macron, nous pouvons confirmer que les recommandations à rester chez soi sont largement suivies à l'intérieur du pays. On note aussi un vrai changement à Paris et dans les métropoles françaises où le quadrillage de la police est désormais beaucoup plus serré.
Pour preuve: la pluie les contraventions infligées par les forces de l'ordre, en particulier dans les zones urbaines. Selon le ministère de l'Intérieur, qui n'a pas officiellement actualisé les chiffres donnés le 19 mars par le ministre Christophe Castaner (4095 contraventions ce jour-là), le nombre total des amendes à 135 euros pour non-respect des consignes de confinement dépasse désormais les 20 000 sur l'ensemble du territoire. En Seine Saint Denis, département du nord de Paris visité par Le Temps jeudi, 1345 verbalisations avaient eu lieu avant le week-end. La loi sur l'état d'urgence sanitaire, définitivement adoptée par le parlement ce week-end, prévoit une amende de base de 135 euros en cas de violation du confinement, et une amende maximale de 3700 euros en cas de récidive répétée. Une peine de prison est aussi prévue dans les cas les plus graves.
La question posée est davantage celle de l'efficacité sanitaire du confinement actuel, qui permet encore aux Français de sortir de chez eux pour faire leurs courses et pratiquer du sport individuel dans un périmètre de moins d'un kilomètre autour de leur domicile. A ce sujet, les rumeurs les plus folles circulent, alimentées par les réseaux sociaux et relancées par l'appel d'un collectif de médecins hospitaliers à resserrer les mesures. «Nous aider, c'est respecter strictement le confinement [...]. Nous pouvons encore éviter des milliers de décès», assurent les signataires du manifeste. L'une des rumeurs récurrentes affirme qu'Emmanuel Macron annoncera lors de sa prochaine intervention télévisée un bouclage total, dans les 24 heures suivantes, de Paris et de banlieue, ainsi que de la région Grand-Est, assorti d'un couvre-feu avec barrages militaires. Pour l'heure, le premier ministre Edouard Philippe n'a annoncé que des restrictions supplémentaires comme la limitation à une heure des sorties «sportives» et la fin des marchés extérieurs alimentaires.
Une chose apparaît pour l'heure certaine: la prolongation de la période de confinement jusqu'au 28 avril, date recommandée ce mardi par les experts du Conseil scientifique. Initialement annoncée pour 15 jours, le verrouillage du pays va donc durer. L'arrière-plan a été dressé par le président français - qui sera mercredi à Mulhouse, épicentre de la région la plus touchée du Grand Est - dans un entretien publié par Le Journal du Dimanche. «Nous devons faire face à l'urgence sanitaire, protéger les plus faibles, nos aînés, et ensuite notre système de santé lui-même», a-t-il affirmé. «Mais aussi prendre en charge toute la société, son stress et sa capacité à vivre cette pandémie en tant que nation. Nous allons affronter une crise financière sans précédent, une crise de l'économie réelle. Nous ne sommes pas au bout de ce que cette épidémie va nous faire vivre.».
Le couvre-feu est en revanche déjà une réalité, depuis samedi soir, dans plusieurs villes de France, à l'initiative de leurs maires. En voici une première liste: Vallauris (Alpes-Maritimes), Menton (Alpes-Maritimes), Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), Jeumont (Nord), Nice (Alpes-Maritimes), Perpignan (Pyrénées-Orientales), Béziers (Hérault), Hautmont (Nord) et Montpellier (Hérault), Mulhouse (Haut Rhin), Valence (Drome).
A noter: le nombre important de villes sur la Côte d'Azur où la proportion importante d'une population âgée, et les craintes d'une prolifération des cambriolages dans les appartements laissés vacants, sont aussi un motif du verrouillage sécuritaire.
■ La situation sanitaire est-elle alarmante en France?
L'état d'urgence sanitaire a été déclaré en France pour la première fois vendredi 20 mars. Le projet de loi qui l'encadre a été adopté dimanche soir. en a fixé les délais: pour une durée maximale d'un mois. Au-delà d'un mois, sa prorogation devra être autorisée par la loi.
La question principale en France porte sur la capacité du système hospitalier français à résister à l'afflux de malades, en particulier dans les services de réanimation. Le cas de la région Grand-Est, l'un des épicentres de la contamination, est le plus dramatique au point que plusieurs mesures d'urgence ont été mises en place, parmi lesquelles l'évacuation de patients par avion militaire ou le transfert probable de malades vers des hôpitaux allemands et suisses qui ont accepté de les prendre en charge.
Un hôpital militaire installé à Mulhouse, d'une capacité d'une trentaine de lits, est opérationnel depuis ce mardi pour délester les services d'urgence. Un autre point fragile est celui de la Corse où le transfert de douze malades vers le continent a été effectué dimanche par la marine nationale française. Emmanuel Macron fera la déplacement ce mercredi dans le Grand Est d'où partira pour la première fois un TGV médicalisé pour acheminer des patients vers les hôpitaux de la région centre, à raison de 4 patients par wagon avec, dans chaque voiture, une équipe médicale.
Un autre point d'inquiétude porte sur l'absence de contrôles sanitaire dans les aéroports et dans les gares où affluent les 130 000 français bloqués à l'étranger suite à la fermeture des frontières de l'espace Schengen et à l'annulation en cascade de nombreux vols internationaux. Ces touristes qui parviennent toutefois à embarquer arrivent à l'aéroport Charles de Gaulle sans subir le moindre contrôle et doivent ensuite rejoindre leur domicile par leurs propres moyens.
A ajouter aussi un début de panique dans les EHPAD, les maisons de retraite, suite à l'annonce de la mort d'une vingtaine de résidents, en lien présumé avec le Covid-19, dans un établissement de Cornimont (Vosges), à une centaine de kilomètres de Bâle.
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■ Le système de santé français va-t-il craquer?
C'est la question que nous avons posé à l'ancienne ministre de la santé Roselyne Bachelot, qui répond par la négative. Mais des questions sérieuses se posent, tant sur la disponibilité des masques de protection – un sujet de polémique – que sur l'incapacité des hôpitaux et des services spécialisés à mettre en place un dépistage de grande ampleur, en raison du manque de moyens pratiques pour les tests (plaquettes, réactifs, etc...).
C'est, à l'heure où nous écrivons ces lignes, la grande différence entre la France et l'Allemagne, où le dépistage plus généralisé permet semble-t-il de bien mieux dissocier les porteurs du virus du reste de la population, et de diminuer la mortalité. La question du stock stratégique de masques de protection empoisonne le climat politique car il est avéré que celui-ci était encore en place en 2012, et n'a pas été renouvelé ensuite. Ce qui fait porter une lourde responsabilité sur la présidence de François Hollande, dont Emmanuel Macron était l'un des plus proches conseillers et sur la ministre de la Santé de l'époque Marisol Touraine.
Dans ce tunnel sanitaire français, surprise vient de Marseille, où le professeur Didier Raoult a commencé à tester sur des malades un traitement à base de chloroquine, un antipaludéen. Lequel produit des effets positifs sur les trois quarts des patients, selon ce spécialiste. Preuve de l'intérêt de cette option: le traitement à base de chloroquine vient d'être intégré à l'essai européen Discovery, dirigé par l'Inserm, l'institut français de recherche médicale. Il n'en demeure pas moins controversé, certains reprochant au médecin son manque de données et des conflits d'intérêts autour de ses publications. Résultat: le professeur Raoult a décidé mardi de quitter le Conseil scientifique français.
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Dans un tout autre domaine, cette semaine sera aussi décisive pour la gestion des frontières par le gouvernement. Depuis la décision de fermer les frontières extérieures de l'espace Schengen, la France n'a pas fait partie des pays ayant opté pour une fermeture unilatérale de ses frontières, mais Emmanuel Macron en a menacé Boris Johnson, si le Royaume Uni ne prend pas d'urgence des mesures de confinement.
■ Que peut-on attendre aujourd'hui sur le front politique et sanitaire en France?
Sur le front sanitaire, les nouvelles mesures seront conditionnées à l'avis du Conseil scientifique Covid-19 qui doit se réunir mardi. Il est important de lire, pour comprendre les accusations portées par la communauté médicale et le personnel soignant, l'avis du Conseil d'Etat rendu dimanche. Les magistrats de cette juridiction estiment que les mesures de confinement devront être précisées, mais qu'elles ne peuvent pas être accrues. C'est en réponse à ces remarques qu'Edouard Philippe a restreint les sorties sportives.
Le texte précise: «Il appartient aux différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.»
Plus important: «Si un confinement total de la population dans certaines zones peut être envisagé, les mesures demandées au plan national ne peuvent, s’agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées, et organisées sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l’administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie et à retarder l’acheminement des matériels indispensables à cette protection.»
Sur le plan politique enfin, une question promet d'empoisonner le débat dans les prochaines semaines en France: celle du report du second tour des élections municipales. Pour l'heure, comme l'indique la loi sur l'état d'urgence sanitaire celui-ci est reporté «au plus tard» au mois de juin 2020. Sa date sera fixée par décret. Avec cette précision: «D'ici le 23 mai 2020, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport du Conseil scientifique de gestion de la crise liée au coronavirus (...) Si le second tour ne peut pas avoir lieu au mois de juin 2020, les électeurs seront alors convoqués ultérieurement pour deux tours de scrutin (les résultats du premier tour du 15 mars 2020 seront annulés). En revanche, les conseillers élus dès le premier tour le 15 mars restent élus». En clair: le scrutin n'aura lieu que dans les 5000 communes de France (sur 35 000) qui n'ont pas déjà désigné leur exécutif local. Un casse-tête.