Le 17 mai dernier, les journaux allemands Süddeutsche Zeitung et Der Spiegel révélaient une vidéo qui allait faire voler en éclats la coalition droite-extrême droite autrichienne. Tournées en 2017 sur l’île espagnole d’Ibiza, les images montrent le vice-chancelier et ex-chef du FPÖ, Heinz-Christian Strache, prêt à offrir à la fausse nièce d’un oligarque russe d’importants marchés publics en échange de financements illégaux. Une vidéo piège qui conduira à l’éviction de Strache mais également à la destitution du chancelier Sebastian Kurz. Si l’affaire n’a de russe qu’Aliona Makarova, la prétendue nièce du richissime oligarque, la méthode utilisée pour piéger Strache n’est pas sans rappeler celle du Kompromat.

Le savoir-faire russe

Employé par les services secrets à l’époque du KGB, le Kompromat est un terme russe désignant des documents compromettants concernant une personnalité publique ou politique, et utilisés pour l’évincer. «Le boom du Kompromat en Russie, surtout dans les années 1990, doit être placé dans un double contexte. Il a été alimenté non seulement par les changements consécutifs à l’effondrement de l’Union soviétique mais également par les habitudes de la politique russe pendant la guerre froide», résume Alena Ledeneva, dans son ouvrage How Russia Really Works: The Informal Practices That Shaped Post-Soviet Politics And Business.

La professeure en sciences politiques à l’University College of London y distingue quatre types de Kompromat. Un politique qui consiste notamment à révéler un cas d’abus de pouvoir, un économique qui discrédite des personnalités ayant détourné des fonds, détenant des comptes offshore ou ayant accepté des pots-de-vin. Un criminel visant à dévoiler les liens qu’une personnalité peut entretenir avec la criminalité organisée et un kompromat privé, utilisé pour piéger une personnalité publique en répandant, le plus souvent, des images et des vidéos sulfureuses liées à sa vie personnelle.

Ainsi, au printemps 1999, le procureur général russe Iouri Skouratov est évincé lorsque la télévision diffuse une vidéo, dont l’authenticité n’a jamais été prouvée, le montrant avec des prostituées, qu’un prévenu aurait payées. Quelques années plus tard, en 2010, une certaine «Katia» séduit plusieurs opposants au Kremlin et filme en secret les ébats, qu’elle diffuse ensuite en ligne.

De leur côté, des chaînes de télévision pro-Kremlin telles que NTV ou LifeNews n’hésitent pas à recueillir par leurs propres moyens des kompromat contre les opposants, en utilisant des écoutes téléphoniques ou encore des caméras cachées.

Une arme redoutable

Si, depuis la fin de la guerre froide, les Russes sont les principales victimes de ces dénigrements, parfois diffamatoires, plusieurs personnalités étrangères en ont fait les frais. Photographié avec un partenaire du même sexe alors que l’homosexualité était interdite au Royaume-Uni, John Vassall, attaché naval britannique à Moscou de 1954 à 1956, est ainsi forcé de devenir l’un des plus célèbres espions du KGB en Grande-Bretagne.

Son compatriote John Profumo, ministre de la Guerre, tombe lui aussi dans un piège en 1963 car il fréquente de près une jeune fille de 19 ans. En 1964, c’est au tour d’un ambassadeur français, Maurice Dejean, de se faire éjecter: des agents du KGB filment l’homme marié en pleins ébats avec une jeune actrice russe, provoquant aussitôt son rappel à Paris par le général de Gaulle, qui le congédiera. Plus récemment, en 2009, un diplomate britannique en poste en Russie démissionne après la diffusion sur internet d’une vidéo le montrant avec deux prostituées.

Et si le Kremlin faisait chanter Donald Trump?

C’est en janvier 2017 que le Kompromat revient réellement sur le devant de la scène, lorsque des rumeurs font état de dossiers compromettants détenus par la Russie à l’encontre de Donald Trump. Des documents à l’authenticité incertaine révélés par le média américain en ligne BuzzFeed, selon lesquels les services russes d’espionnage disposeraient d’informations compromettantes compilées au fil des années, notamment sur des rencontres du président américain avec des prostituées à Moscou.

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Des allégations niées en bloc des deux côtés. Trump dénonçait de fausses informations tandis que le Kremlin jugeait ces rumeurs absurdes, comme une tentative de nuire aux relations entre les deux pays.