«Rappelons-nous le contexte, explique-t-elle au Temps. En 2004, la province du Kosovo était encore le théâtre de vifs conflits entre Kosovars albanais et Serbes. La situation menaçait la stabilité des Balkans. La Suisse, par sa proximité géographique de la région et par la présence sur son territoire de l’une des plus importantes communautés kosovares d’Europe, près de 200 000, avait un intérêt manifeste au maintien de la stabilité dans la région.»
Des rencontres à Lucerne
En 2004, le DFAE organise à Lucerne des rencontres entre Kosovars albanais et Serbes. Elles ne débouchent sur rien. Les Kosovars se plaignent de ne pouvoir assumer leur responsabilité en raison de leur statut de province de Serbie. L’ex-conseillère fédérale le relève: «On souhaitait que le Kosovo atteigne certains standards internationaux avant de prétendre à l’indépendance. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait inverser cette logique: qu’il fallait leur attribuer le statut de pays indépendant avant d’insister sur les standards.»
A New York, en 2005, l’ambassadeur de Suisse auprès des Nations unies Peter Maurer est chargé de transmettre le message de la Confédération. Il promeut l’indépendance du Kosovo dans un discours prononcé au Conseil de sécurité. La même année, Micheline Calmy-Rey rencontre le président de ce qui est encore la province du Kosovo, Ibrahim Rugova. Elle défend le dossier de l’indépendance lors d’un sommet transatlantique en présence des Américains, des Européens et de l’OTAN. Elle va même en parler au président russe Vladimir Poutine en 2007.
La Suisse se serait faite ennemie de la Russie
Le maître du Kremlin n’est pas d’accord, mais il dit comprendre la position suisse. C’est pourtant un argument qui sera régulièrement invoqué aux Chambres fédérales pour dénoncer la politique de neutralité active de la socialiste genevoise. On lui prédisait une implosion des relations entre Moscou et Berne. «Cela n’a pas été le cas, relève Micheline Calmy-Rey. Nous nous sommes au contraire bien entendu plus tard avec la Russie, dans la médiation entre la Turquie et l’Arménie, dans le dossier de l’adhésion russe à l’OMC et de la double présidence de l’OSCE (en 2014) de la Suisse et de la Serbie. Moscou ne souhaitait pas un tel précédent, mais notre choix politique par rapport au Kosovo n’a en rien endommagé notre relation avec la Russie.»
L’Espagne, qui ne reconnaît toujours pas l’indépendance de Pristina, a elle aussi étroitement coopéré avec Berne dans le cas des otages suisses en Libye.
Le premier Etat à promouvoir l’indépendance du Kosovo
Si la Suisse n’a pas été la première à reconnaître formellement l’indépendance du Kosovo, elle fut le premier Etat à la promouvoir. Elle sera néanmoins parmi les premiers pays à y installer une ambassade. A l’époque président de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats, le Tessinois Dick Marty s’était fermement opposé à la reconnaissance du Kosovo qu’il jugeait précipitée. Il plaidait plutôt pour une solution confédérale selon le modèle suisse. Il contestait l’interprétation juridique du DFAE. «En droit international, il y a deux principes qui font foi: l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination des peuples. Nous avons privilégié la seconde. Notre position a été confortée par un arrêt de 2010 de la Cour internationale de justice qui avait été saisie par la Serbie. Et à ceux qui estiment qu’on a bafoué la neutralité suisse, je leur dis que nous avons défendu un principe de droit international public. Nous n’avons pas pris parti pour l’une ou l’autre partie au conflit.»
En Suisse, un débat houleux
En Suisse, le débat sur la question a pourtant été houleux. Mais les deux commissions de politique étrangère et le Conseil fédéral s’étaient ralliés à la politique du DFAE. «Et le Kosovo n’avait rien à voir avec la Crimée (annexée par la Russie en 2014). Le Kosovo sortait d’une guerre. Les gens étaient en danger», rappelle Micheline Calmy-Rey.
Lors de sa visite ce jeudi au Kosovo, Micheline Calmy-Rey se rendra dans deux églises catholiques. «Je n’en connais pas la raison. Cela doit être lié à la communauté catholique albanaise qui m’avait invité à Will dans le canton de St-Gall. Le 17 février 2008, il y a eu une messe au moment où le Kosovo procédait à sa déclaration d’indépendance. Les gens pleuraient. C’était très émouvant», se souvient la ministre.
L’isolement, «un leurre»
Aujourd’hui, 111 pays sur les 193 que comptent les Nations unies ont reconnu l’indépendance du Kosovo. «L’indépendance, poursuit l’ex-cheffe de la diplomatie suisse, fut un succès diplomatique pour la Suisse. Dans un monde globalisé, il est juste que notre pays se fasse entendre, qu’il montre sa capacité à prendre des initiatives. Croire qu’on défendra mieux ses intérêts en s’isolant est un leurre.»
La Confédération demeure l’un des principaux donateurs pour le développement du Kosovo. Elle y stationne toujours 235 soldats de la Swisscoy dans ce qui fut ironiquement baptisé le 27e canton suisse. Le pays reste néanmoins confronté à de sérieux défis économiques et politiques. Son administration n’est pas encore à niveau, la lutte contre la corruption n’a pas produit les effets escomptés. Le nouveau parlement devra s’y atteler rapidement.