«Tant que nous serons ignorés par les médias traditionnels, voire délibérément victimes de fake news de la part de ces mêmes médias, l’AfD n’aura d’autre choix que de développer ses propres canaux de communication.» Alice Weidel, co-cheffe du groupe parlementaire d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) – le parti d’extrême droite entré avec fracas en septembre dernier au Bundestag –, annonçait ainsi en février une vaste offensive médiatique «pour le mois d’avril».

S’inspirant des exemples autrichiens (FPÖ-TV) ou américain (Trump TV sur Facebook), le parti populiste allemand entend développer son propre contenu médiatique sur internet. Début mars, Alice Weidel rencontrait l’ex-conseiller de Donald Trump Steve Bannon, ancien chef de Breitbart News, site d’information qui avait aidé à la victoire de Trump grâce à ses 16 millions d’abonnés. Selon les projets de l’AfD, plus d’un million d’euros seront réservés au développement d'AfD-TV et du magazine Compact, grâce au budget dont dispose chaque député du Bundestag, afin d’informer les électeurs sur son travail.

410 000 abonnés sur Facebook

Deux mois plus tard, la «newsroom» du groupe parlementaire – qui doit venir en complément du déjà volumineux service «communication» du parti – n’est pas entièrement prête. Selon les plans présentés par Alice Weidel, la cellule, comparable à celle d’une rédaction classique, doit compter trois équipes travaillant 24h/24 pour produire du contenu télévisé, qui sera ensuite diffusé sur internet, principalement via Facebook. La page de l’AfD compte 410 000 abonnés, bien plus que tous les autres partis allemands.

A ce jour, seul un quart des 40 salariés prévus a été embauché selon le quotidien Tagesspiegel, et le studio télévisé en construction dans des locaux flambant neufs à côté de l’ambassade de Russie n’est pas encore opérationnel. Mais l’AfD – dont l’offre médiatique a joué un grand rôle dans la campagne électorale – n’en est pas à ses débuts télévisés. Pendant la campagne, l’équipe d'AfD-TV a ainsi accompagné Alice Weidel en «reportage» sur «les foyers sensibles de l’immigration» en Italie. L’équipe d'AfD-TV était également sur place lors des manifestations pro-Erdogan à Cologne voici deux ans, et diffuse régulièrement sur le net des extraits de débats des parlements régionaux dans les 14 Länder (sur 16) où le parti est représenté.

Malaise au Bundestag

«L’AfD, avec son discours sur la «presse mensongère», a réussi à créer une demande pour une information prétendument «honnête», que le parti va maintenant couvrir avec son offre médiatique, écrit le conseiller en communication politique Johannes Hillje. L’AfD tient sur Facebook et Twitter un discours parallèle à celui des médias traditionnels et s’adresse directement à ses électeurs. Cette stratégie a aidé Trump à accéder au pouvoir et l’AfD à entrer au Bundestag.»

Au Bundestag, l’offensive médiatique de l’AfD suscite un certain malaise. «Il est légitime que l’AfD cherche à avoir son propre canal de communication. Mais lorsque cette dernière ne se fait plus que sur internet, qu’elle est déconnectée de la réalité, cela pose un problème pour la démocratie», insiste le député chrétien-démocrate Philipp Amthor, interrogé par Le Temps. «En théorie, les modes de financement d’un groupe parlementaire et d’un parti doivent être clairement séparés. Les moyens financiers qui sont à disposition des députés pour informer sur le travail parlementaire ne doivent pas servir à faire la promotion du parti.» Ce jeune député de 25 ans, qui s’est illustré dans l’hémicycle par ses attaques contre l’extrême droite, dénonce aussi les risques liés au cumul des fonctions de co-chef du groupe parlementaire et de président de l’AfD par Alexander Gauland.