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L’Allemagne d’Olaf Scholz plébiscite l’immigration économique

Le programme du nouveau gouvernement allemand vise à faciliter la naturalisation et à attirer 400 000 personnes qualifiées par an. Cette politique d’ouverture contraste fortement avec le reste de l’Europe

La nouvelle ministre de l’Intérieur allemande Nancy Faeser (à droite) et le nouveau ministre du Travail Hubertus Heil (au centre), avec le nouveau chancelier Olaf Schulz au QG du SPD à Berlin le 6 décembre 2021. — © Ina Fassbender/AFP
La nouvelle ministre de l’Intérieur allemande Nancy Faeser (à droite) et le nouveau ministre du Travail Hubertus Heil (au centre), avec le nouveau chancelier Olaf Schulz au QG du SPD à Berlin le 6 décembre 2021. — © Ina Fassbender/AFP

Le nouveau gouvernement allemand d’Olaf Scholz n’a pas peur de proposer des politiques audacieuses. C’est particulièrement vrai pour la question de l’immigration, très peu débattue pendant la campagne électorale mais qui pourrait donner lieu à des changements majeurs, après seize années de gouvernement conservateur.

Premier constat, la coalition dite du «feu tricolore», entre sociaux-démocrates, écologistes et libéraux, fait un choix détonnant: elle découple entièrement la notion d’immigration des aspects sécuritaires. Un bon point pour Jochen Oltmer, de l’Université d’Osnabrück. «Par rapport aux années précédentes, les immigrés sont moins perçus comme un groupe problématique spécifique que comme faisant partie de la société», analyse cet historien des migrations.

Naturalisation automatique

La nouvelle coalition souhaite ainsi «une loi moderne sur la citoyenneté» qui facilitera l’accès à la nationalité allemande et l’obtention de multiples nationalités, deux sujets récurrents de discorde. Les enfants nés dans le pays de parents étrangers résidant légalement sur le territoire depuis cinq ans deviendront automatiquement allemands à leur naissance. Obtenir la citoyenneté sera aussi possible, dans certains cas, au bout de trois ans de résidence.

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De même, la nouvelle coalition souhaite faciliter l’intégration des migrants déjà présents sur le territoire, en particulier des personnes bénéficiant d’une protection pour une période limitée. Le regroupement familial leur sera facilité et l’interdiction de travailler sera levée. Les jeunes de moins de 27 ans, «bien intégrés», pourront aussi obtenir un permis de séjour permanent au bout de trois ans. «Trois ans, c’est très rapide et surprenant, car la plupart des pays s’alignent sur des durées de cinq à huit ans», constate Thomas Liebig, expert à l’OCDE. «L’Allemagne pourrait être en pointe en la matière mais, évidemment, tout dépendra de ce que les autorités entendent par le fait d’être bien intégré», ajoute cet expert. Quant aux personnes en situation irrégulière depuis cinq ans et n’ayant pas enfreint la loi, elles pourraient bientôt obtenir un permis de séjour d’un an.

Cauchemar démographique

C’est toutefois en matière d’immigration économique que le nouveau gouvernement souhaite aller le plus loin, en se fixant comme objectif d’attirer 400 000 personnes net par an pour venir travailler dans les secteurs les plus en demande. Ce chiffre ne tombe pas du ciel. Il a été mis en avant par l’Institut IAB comme l’une des solutions au vieillissement de la société allemande. Le constat est connu: avec seulement 100 000 arrivées par an, et une hausse du taux d’activité des femmes et des personnes de plus de 60 ans, la population active passera de 47,4 millions en 2020 à 38,3 millions d’ici à 2060. Un cauchemar pour l’avenir du système économique et social du pays.

«Nous avons besoin de 400 000 immigrés par an, donc nettement plus que les années précédentes», a repris cet été Detlef Scheele, patron de l’Agence fédérale pour l’emploi. «Des soins à la personne en passant par les spécialistes de la logistique et les universitaires, la pénurie de travailleurs qualifiés sera partout», a-t-il rappelé en plaidant pour une «immigration ciblée» destinée à «combler les lacunes du marché du travail». Le futur gouvernement semble vouloir aller en partie dans ce sens, en élargissant la loi sur l’immigration entrée en vigueur en 2020. Il envisage ainsi la mise en place d’une «carte chance avec un système à points» pour attirer une main-d’œuvre qualifiée et souhaite élargir aux détenteurs de diplômes non universitaires le système européen de carte bleue (donnant un droit de résidence) actuellement destiné aux personnes hautement qualifiées.

«L’Allemagne est le seul pays de l’Union européenne qui souhaite une immigration pour raisons économiques et qui se fixe des objectifs chiffrés qui ne soient pas des plafonds à ne pas dépasser, constate Thomas Liebig. Cela s’explique par sa démographie qui a toujours été un souci.»

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Milieux économiques favorables

Du côté des milieux économiques, les pistes lancées par la nouvelle coalition sont assez bien accueillies même si les représentants patronaux attendent du concret pour juger sur pièce. Pour la Fédération des Chambres de commerces allemande (DIHK), il y a «urgence à agir». «Les confinements et le chômage partiel n’ont que temporairement relégué au second plan la pénurie de main-d’œuvre qualifiée», constate Achim Dercks, le directeur général adjoint de la DIHK, avant d’ajouter: «La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est de retour dans les entreprises, plus rapide et plus forte que beaucoup ne l’avaient prévue. Dans les années à venir, il sera de plus en plus difficile pour les entreprises de lutter contre.»

La nouvelle opposition chrétienne-démocrate critique cet objectif de 400 000 immigrés par an et tance la future politique migratoire allemande. «Nous avons besoin d’une immigration ciblée et contrôlée sur le marché du travail et non d’une immigration incontrôlée dans les systèmes sociaux», estime Friedrich Merz, l’un des barons du Parti chrétien-démocrate. Il a d’ores et déjà annoncé «des disputes» sur ces thèmes dans les prochains mois.