De fines lunettes, une foison de cheveux blancs et la démarche volontaire… Erhard Kohlrausch arpente les couloirs de l’école privée Kant-Schule du pas du prof confirmé. Dix-neuf heures par semaine, il enseigne l’allemand et la géographie dans cet établissement de 2200 élèves au sud-ouest de Berlin. C’est l’équivalent d’un gros mi-temps. Dans la capitale allemande, un temps plein équivaut à vingt-six heures de cours pour les professeurs du secondaire. Un cursus ordinaire, somme toute.

Sauf l’âge du capitaine: Erhard Kohlrausch a 71 ans. Retraité de l’enseignement public depuis l’âge de 66 ans, il a voulu continuer à enseigner parce qu’il «aime l’école, que travailler maintient en forme et que le cerveau commence à décliner lorsqu’on n’est plus actif». Pour lui, la motivation financière joue «un rôle secondaire», même s’il cumule sa pension d’ancien fonctionnaire (7% de son dernier salaire) et son salaire de la Kant-Schule.

Au-delà de l'âge de la retraite

Le prof-retraité-toujours-en-activité est un spécimen en voie d’expansion en Allemagne. Rien qu’à la Kant-Schule, ils sont trois à avoir dépassé l’âge réglementaire de la retraite. Un apport précieux pour Andreas Wegener, le directeur de l’établissement, alors que l’Allemagne traverse une phase historique de pénurie d’enseignants, obligeant länder et établissements à faire preuve d’inventivité. A Berlin, le sénateur chargé de l’éducation s’apprête même à officialiser le recours aux retraités à la rentrée prochaine, promettant aux enseignants sur le point de partir à la retraite mais prêts à travailler trois années supplémentaires une hausse de salaire de 20%. Le modèle est déjà pratiqué en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le land le plus peuplé d’Allemagne.

La pénurie d’enseignants que connaît l’Allemagne est inquiétante: la conjonction du départ à la retraite des baby-boomers et de la multiplication des élèves – du fait de l’arrivée de nombreux réfugiés et du développement de l’école à temps plein pour les élèves – n’a pas été anticipée. Trop peu de jeunes enseignants quittent chaque année les bancs de l’université. Dans le seul primaire, il manquera 35 000 instituteurs d’ici à 2025, selon une étude de la Fondation Bertelsmann publiée fin janvier. Jusqu’à la rentrée 2020-2021, 9800 embauches par an seront nécessaires, 11 200 les années suivantes.

«Il faudra recourir à des solutions à court terme», avertissent les auteurs de l’étude, Klaus Klemm et Dieter Zorn, recommandant d’étendre la durée du temps de travail des enseignants à temps partiel et de recourir aux enseignants retraités. «Mais il faudra aussi faire appel à des non-professionnels formés sur le tas», avertissent les deux chercheurs. Un modèle décrié par les syndicats d’enseignants et les parents, mais déjà pratiqué dans de nombreux länder. A Berlin, les non-professionnels formés sur le tas ont représenté la moitié des embauches d’instituteurs au second semestre de l’année scolaire en cours, soit 500 recrutements.

D'autres horizons

A la Kant-Schule, 20% des professeurs ne sont pas titulaires des deux examens d’Etat théoriquement obligatoires pour enseigner. «Ce sont d’anciens musiciens, des artistes, des architectes, des scientifiques, explique Andreas Wegener. Je trouve ça positif, il est important d’avoir un bon mélange de générations et d’expériences professionnelles parmi les enseignants.»

Dans l’enseignement public, l’école ne fonctionnerait plus sans les «Quereinsteiger», comme on appelle ces enseignants issus d’autres professions. A Berlin, de véritables castings sont organisés dans les écoles: les candidats à un poste – présélectionnés par les autorités – ont dix minutes pour se présenter face à un parterre de directeurs d’établissement aux abois qui font leur choix. Seule condition: être titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans une matière enseignée. Les meilleurs profils, très prisés, seront formés en alternance pendant quatre années, à l’issue desquelles ils seront même mieux payés – 5300 euros brut – que leurs collègues «traditionnels» afin de stimuler les vocations.

Différences culturelles

Dans ce contexte de pénurie sur le marché de l’emploi des professeurs et des instituteurs, les réfugiés enseignants ont eux aussi de bons atouts en poche. A l’université de Potsdam, un programme leur est même réservé. Le Refugee Teachers Program convertit en trois semestres des enseignants pour l’essentiel Syriens au système scolaire allemand. Une première promotion de 26 élèves vient de sortir de l’université.

«L’intérêt est considérable», se réjouit Miriam Vock, responsable du programme. Mais les difficultés aussi. Il lui a fallu refuser de nombreux candidats qui habitaient trop loin de Potsdam et ne trouvaient pas à se loger. A ces problèmes matériels s’ajoutent des difficultés culturelles, liées à la différence de statut de l’enseignant dans les deux pays. Les instituteurs syriens ne sont guère habitués à voir leur autorité remise en question par les élèves ou les parents de ceux-ci, comme c’est le cas en Allemagne.