Laurent Wauquiez, symbole d’une droite française explosée
Analyse
Le président du parti Les Républicains a tiré, dimanche soir, les conséquences de l’échec de sa liste aux élections européennes. Sa démission démontre l’impasse dans laquelle se trouve son camp politique. Et ouvre la voie à un retour à un conservatisme des territoires. Notre analyse

La droite française version Wauquiez n’existe plus. C’est un cimetière politique que le président du parti Les Républicains a décidé de quitter, le dimanche 2 juin, en annonçant sa démission, moins de deux ans après son élection très confortable en décembre 2017, à la tête de cette formation, avec 75% des voix.
Agé de 44 ans, l’intéressé demeure président de la région Auvergne-Rhône-Alpes au sein de laquelle il s’est impliqué dans des partenariats transfrontaliers avec la Suisse. Son départ marque en revanche une cassure nette d’un modèle: celui d’une droite persuadée que son avenir se trouve du côté d’un conservatisme social affirmé inspiré d’un catholicisme intransigeant, et d’un positionnement très critique à l’égard de l’Union européenne.
Une chronique: Laurent Wauquiez, tueur de la droite française
J'ai décidé de prendre du recul. Je me retire de mes fonctions de président des Républicains. C'est indispensable. Pendant une semaine, j'ai tout fait pour rassembler les bonnes volontés. Je ne veux pas être un obstacle. La droite doit se reconstruire. #Le20h pic.twitter.com/LQgbkNz5DD
— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) 2 juin 2019
8% seulement des suffrages
La défaite sans appel aux européennes du 26 mai de la liste conduite par l’intellectuel de 33 ans François-Xavier Bellamy (8,48%) – choix personnel de Laurent Wauquiez – a démontré que les électeurs français tentés par cette ligne préféraient désormais voter pour le Rassemblement national (ex-Front national, qui a fait 23,3%) ou d’autres mouvements de droite «dure» comme Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan (3,51%). Tandis que la partie plus libérale et conservatrice bon teint des électeurs se sent désormais davantage représentée par les choix politico-économiques d’Emmanuel Macron, dont la liste Renaissance est arrivée en deuxième position (22,4%) et enverra au Parlement de Strasbourg, une fois le Brexit consommé, 23 eurodéputés, comme le Rassemblement national.
Le choix de Laurent Wauquiez, réputé en France pour sa redoutable ambition, n’est pourtant pas nouveau. Il ne faisait que copier, depuis la défaite de François Fillon au premier tour de la présidentielle de mai 2017 (20,01%), le modèle défendu autrefois par l’ancien président Nicolas Sarkozy: une droite avant tout centrée sur les questions de sécurité et d’identité, résolue à chasser ouvertement sur les terres de l’ex-Front national.
Après le scrutin du 26 mai: Quels changements pour l’Union européenne après les élections?
Un triple tremblement de terre
Premier problème: l’ancien chef de l’Etat avait été, en novembre 2016, sèchement battu aux primaires «citoyennes» de la droite alors qu’il espérait se remettre en orbite pour la course à l’Elysée et tenter sa revanche contre François Hollande, vainqueur en 2012. Preuve, déjà, que cette veine populiste avait du plomb dans l’aile.
Second problème: le paysage politique français a, ces deux dernières années, subi un triple tremblement de terre. Les accusations de détournement de fonds publics portées contre François Fillon (l’ex-premier ministre a été renvoyé devant le tribunal correctionnel en avril dernier et son procès devrait avoir lieu en 2020) ont fâché une partie de l’électorat conservateur avec les dirigeants de la droite.
En décembre 2017: Laurent Wauquiez, nouvel homme fort de la droite française
L’irruption Macron
L’irruption d’Emmanuel Macron, puis son accession à l’Elysée et ses réformes d’inspiration libérale, ont séduit un public avant tout préoccupé par la reprise économique et par la volonté affichée de désendetter la France. La crédibilité locale du Rassemblement national, sa rhétorique anti-migrants et ses attaques contre l’UE sans prétendre abandonner l’euro ont enfin conquis le segment commerçants-artisans-professions indépendantes qui, hier, votait à droite.
L’espace que souhaitait reconquérir Laurent Wauquiez a simplement explosé, alors que son impopularité personnelle attisait les batailles internes, profitant aux ralliés de droite à la majorité présidentielle – soit en gros le camp de l’ancien maire de Bordeaux Alain Juppé (aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel) incarné par l’actuel chef du gouvernement, Edouard Philippe.
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Les deux France
L’autre erreur de Laurent Wauquiez, qui a pourtant grandi en politique dans le massif central – il fut maire du Puy-en-Velay, dans la Haute-Loire, après avoir été introduit dans cette région par le centriste Jacques Barrot, décédé en décembre 2014 –, est d’avoir oublié qu’une grande cassure définit maintenant le paysage politique hexagonal: celle des territoires, entre une France des métropoles et une France des villes moyennes et des campagnes pas toujours «périphériques». Ces dernières cherchent avant tout un meilleur fonctionnement de l’Etat, une redynamisation économique et une forme de compromis entre le passé du «modèle français» et l’avenir qui impose d’en changer. C’est un pays plus porté sur les traditions provinciales que sur le dogme catholique, et surtout lassé des décisions et des postures venues de l’élite parisienne à laquelle Laurent Wauquiez est pleinement identifié.
L’électorat conservateur de cette France-là réclame de l’efficacité administrative plutôt que des harangues anti-mariage pour tous, et de l’oxygène pour les entreprises plutôt que des coups de menton contre Bruxelles. C’est à ce pays «réel» que Gérard Larcher, le président du Sénat, bastion de l’opposition de droite, a décidé de s’adresser en invitant ce mardi 4 juin à une «démarche de rassemblement» digne de ce qu’aurait pu promette, naguère, un Jacques Chirac. C’est dans cette France-là, moins libérale que celle des grandes villes, que la droite traditionnelle doute du projet de «transformation» d’Emmanuel Macron.
Le camp conservateur n’a pas fini de souffrir
La démission de Laurent Wauquiez, réclamée depuis la défaite de la liste Bellamy aux européennes, ne clôt toutefois pas les malheurs du camp conservateur. On se souvient qu’en 2012, après la défaite de Nicolas Sarkozy face à François Hollande, l’UMP, ancêtre des Républicains, avait fini écartelée entre les partisans de François Fillon et ceux de Jean-François Coppé, sur fond de scandale lié au financement de la campagne présidentielle perdue par l’ex-locataire de l’Elysée, l’affaire Bygmalion.
Or, dans l’arène politique française transformée de plus en plus en duel Macron-Le Pen, refaire exister un parti conservateur uni et capable de briser cette étreinte entre nationalistes et progressistes pro-européens s’annonce difficile. «J’ai l’obsession de la carte des territoires», répète à chaque entretien Gérard Larcher. De fait: pour la droite, ce retour aux sources, d’ici aux élections municipales de mars 2020, semble la seule façon d’espérer retrouver son âme.