Divisions
Jalouses de leurs prérogatives, plusieurs régions, au premier rang desquelles la Catalogne et le Pays basque, contestent la décision de Madrid de centraliser la lutte contre l’épidémie de coronavirus et d’imposer des mesures drastiques

Dans le pays européen le plus touché par la crise sanitaire, après l’Italie (7941 cas et 292 morts, dimanche soir), les leaders politiques ont déterré la hache de guerre, au lieu de l’enterrer. Alors que la contagion de Covid-19 se propage à un rythme rapide, et alors même que le chef du gouvernement a annoncé vendredi des mesures drastiques pour tenter de juguler le fléau, les disputes politiques font rage et donnent lieu à une bronca entre les socialistes au pouvoir, d’une part, et les nationalismes périphériques, ou l’opposition de droite, d’autre part.
Fallait-il ou non prohiber les manifestations de la Journée de la femme du 8 mars (contaminant par exemple la ministre de l’Egalité, Irene Montero)? Convenait-il de déclarer l’«Etat d’urgence» bien avant, et non vendredi soir? Qui commande réellement en matière sécuritaire ou sanitaire? Des ministres contaminés peuvent-ils ignorer l’impératif de quarantaine?… Autant de questions qui font l’objet d’âpres discussions politiciennes, entre leaders interposés.
Prérogatives régionales
La principale bataille oppose Madrid et les deux régions les plus nationalistes du pays, la Catalogne et le Pays basque. La sévérité des mesures annoncées par le premier ministre socialiste – en particulier la limitation des déplacements, sauf ceux liés au travail indispensable et d’extrême nécessité – a renforcé de fait le pouvoir de quatre ministères nationaux (Défense-Transports-Intérieur et Santé). Et ce, dans un pays très décentralisé, où les 17 régions jouissent d’importantes prérogatives, comme l’Education, un parlement propre ou encore la Santé. Certaines mêmes, les plus nationalistes, disposent des pouvoirs de police, des compétences portuaires, voire pénitentiaires.
Or, aussi bien le Pays basque, gouverné par les nationalistes modérés du PNV et partisan d’une autonomie renforcée, que la Catalogne, dont les dirigeants veulent forcer un référendum d’autodétermination, supportent difficilement que Madrid exerce dans cette crise «un pouvoir recentralisateur». Les pleins pouvoirs attribués par décret, vendredi, au Ministère national de la santé, ont fait bondir Iñigo Urkullu, le dirigeant basque, et davantage encore Quim Torra, le président séparatiste de la Catalogne, estimant que «l’Etat espagnol marche sur nos plates-bandes sanitaires». Mêmes doléances exprimées jalousement par ces deux régions sur le plan sécuritaire. «Au Pays basque, nous souhaitons organiser nous-mêmes un confinement sanitaire.»
Même son de cloche en Catalogne, où les autorités régionales ont déjà mis «sous isolement» quatre communes où le virus s’est propagé à grande vitesse. Dimanche, Quim Torra ne s’est d’ailleurs pas privé de manifester sa désobéissance: «Si j’estime qu’il y a d’autres mesures à prendre pour protéger la population catalane, je le ferai sans consulter le pouvoir central à Madrid.»
Mise sous tutelle
Centralisme autoritaire pour les uns, nécessité d’un commandement unique pour les autres. Selon les nationalistes basques et catalans, l’unification des forces de l’ordre – ce qui suppose que les polices basque (Ertzainza) et catalane (Mossos d’Esquadra) obéissent en tout point au Ministère de l’intérieur – signifierait la mise en place dissimulée de l’article 155 de la Constitution. Ce dernier suppose la mise sous tutelle d’une région, comme ce fut le cas en Catalogne à l’automne 2017 lorsque les indépendantistes avaient organisé de façon illégale un référendum d’autodétermination et avaient déclaré – quoique symboliquement — l’indépendance de leur région.
Du côté du pouvoir central, on estime que ces protestations nationalistes sont «absurdes» et «sans fondement». «Dans une pareille crise, la centralisation des décisions est à la fois une évidence et une nécessité.» Quant au baron socialiste de Castille Emiliano Garcia-Page, il a souligné que «le virus se moque bien des frontières et des compétences régionales».
Les pleins pouvoirs
La «contamination politique» ne s’arrête pas là. Le socialiste Pedro Sánchez affronte aussi la fronde de l’opposition de droite. Le leader du parti populaire, Pablo Casado, estime que l’«Etat d’urgence a été décrété trop tard» et que les socialistes ne se montrent pas assez fermes par «peur de mesures impopulaires». Plus virulent encore se montre le chef de file des populistes de la droite ultra Vox, Santiago Abascal – dont le secrétaire général est touché par le virus après un meeting de 9000 personnes organisé la semaine dernière à Madrid –, et pour qui les socialistes «se rendent coupables d’incompétence et d’un laxisme criminel». Aux yeux de Santiago Abascal, il faudrait «immédiatement» mettre sous les verrous les dirigeants basque et catalan et mettre leurs régions sous tutelle.
Il est à craindre que les heurts et les polémiques entre les forces de l’ordre nationales et régionales vont se multiplier. D’après le décret de l’Etat d’urgence, le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, dispose des pleins pouvoirs sur le territoire pour, par exemple, au motif de «la santé publique», bloquer une route, réquisitionner un bâtiment administratif, ou bien déployer l’armée dans un périmètre. L’exécutif régional de Catalogne a fait savoir qu’il n’accepterait pas ce type «d’ingérence». Le conflit est servi, alors que le virus, lui, ne cesse d’étendre ses métastases.