L’été à grande vitesse des meilleurs ennemis italiens, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles
Luttes
La ligne Lyon-Turin marque l’une des plus grandes dissensions entre les deux alliés du gouvernement italien, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. La première est favorable au chantier, le second a promis une bataille au parlement

Tout est prétexte à la dispute entre les populistes de la Ligue et les antisystèmes du Mouvement 5 étoiles. Les deux formations se partagent pourtant le pouvoir en Italie. Le mois d’août s’est ouvert avec un désaccord sur la réforme de la justice. Lundi, une commission du Sénat doit examiner le nouveau décret sécuritaire de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur, un texte provoquant de fortes perplexités chez son partenaire étoilé. Et quelques jours plus tard, un autre thème, à de nombreuses reprises déjà objet de violentes crispations au sein de ce gouvernement hybride, viendra une nouvelle fois titiller la coalition vacillante.
Les 5 étoiles doivent présenter à la Chambre haute une motion contre la ligne ferroviaire Lyon-Turin, ou «TAV», du nom du projet en Italie. Ils comptent rappeler leur ferme opposition au chantier après que Rome a confirmé son engagement le 26 juillet dernier à la Commission européenne. «Ne pas le réaliser coûterait beaucoup plus que de le mener à terme», avait affirmé plus tôt dans la semaine le premier ministre Giuseppe Conte, penchant du côté de la Lega, grand défenseur du projet.
Pas de gaspillage
La promesse de Bruxelles d’augmenter le financement européen a pesé dans la décision du président du Conseil. L’Europe devait financer le tunnel de base à hauteur de 40%, mais cette aide pourrait passer à 50 voire 55%. Giuseppe Conte a ainsi promis de tout de même défendre «l’intérêt national, unique étoile Polaire de ce gouvernement», reprenant un argument du M5S, depuis toujours déterminé à ne pas gaspiller un centime d’argent public, quitte à bloquer de nombreux projets.
La lutte contre le TAV est l’une des batailles historiques du M5S. Son leader, Luigi Di Maio, s’en remet désormais au parlement. Il devra «décider si le trajet Lyon-Turin, c’est-à-dire un cadeau fait aux Français et à Macron, est plus important que de réaliser» d’autres trajets nationaux. Le coût du tunnel de base est estimé à 8,6 milliards d’euros. Rome devrait supporter 35% de cette dépense, contre 25% pour Paris. Le reste est financé par Bruxelles, dont la part pourrait donc augmenter. Le fait que la dépense italienne soit plus élevée que la française est mal vu au sud des Alpes.
Mais les 5 étoiles ne se réfèrent pas seulement au coût. Dans la motion qui doit être déposée au parlement, les élus doutent de sa validité économique, et dénoncent son coût «social et environnemental». «Sur l’actuelle ligne, poursuit le texte, une diminution continue du transport de marchandises et du trafic de personnes entre l’Italie et la France est enregistrée depuis longtemps. Il s’agit donc d’un projet obsolète, lié à des modèles de développement dépassés et insoutenables.»
Trois lignes
Le Mouvement 5 étoiles se repose sur le «contrat de gouvernement» signé avec la Ligue l’an dernier lors de la formation de la coalition. Trois lignes dans un texte d’une soixantaine de pages sont dédiées à la ligne ferroviaire. Les deux parties «s’engagent à rediscuter intégralement le projet dans l’application de l’accord entre l’Italie et la France». La formation antisystème a traduit ces mots par une annulation pure et simple du projet.
Pour afficher d’autant plus cette vive opposition, le ministre étoilé des Transports n’a pas signé la lettre envoyée fin juillet à Bruxelles pour confirmer la bonne volonté italienne. La missive est néanmoins valide puisque paraphée par des techniciens du ministère. Le responsable des Transport, Danilo Toninelli, avait bloqué l’engagement transalpin lorsque son parti était arrivé au pouvoir en juin 2018. Pour évaluer s’il faut ou non poursuivre le chantier, il avait commandé une analyse, dont les résultats, publiés en février, affirment que les coûts seraient supérieurs de 7 milliards aux bénéfices.
Danilo Toninelli, désigné comme le ministre des «non», est l’une des bêtes noires de Matteo Salvini. Le ministre de l’Intérieur ne cache pas vouloir sa tête. A chacun de ces refus, que le Mouvement 5 étoiles va pourtant devoir répéter ce mois d’août, le chef de la Ligue et homme fort du pays a menacé de faire tomber le gouvernement. Il s’est en réalité révélé comme le seul homme aux commandes, ayant réussi à arracher à son partenaire toute marge de manœuvre.