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La directive communautaire votée ce mardi par le Parlement européen impose un droit «voisin» qui obligera les géants d'internet à redistribuer une partie de leurs bénéfices

Et si la contre-offensive européenne face à l’énorme rouleau compresseur économique des géants d’internet commençait enfin à se matérialiser? Pour les partisans d’une mise en cause frontale des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), une réponse positive est venue ce mardi de Strasbourg, lorsque les députés européens ont définitivement voté en séance plénière la directive communautaire obligeant les géants du Net à payer des «droits voisins» aux auteurs et aux médias dont ils diffusent les contenus (vidéos, textes…).
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Les 28 pays membres de l’Union européenne – d’autres pays tiers comme la Suisse pourraient suivre l’exemple – ont deux ans pour transcrire cette obligation dans leur droit national. Lorsque cela sera fait, les grandes plateformes devront souscrire des licences d’exploitation des œuvres et des articles reproduits. Les droits «voisins» seront répartis entre les éditeurs qui devront en reverser une partie aux créateurs des œuvres.
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Point clé de cette directive, proposée en 2016 par la Commission européenne et désormais approuvée: la fracture engendrée au sein du monde des auteurs. Les professionnels de l’information et de l’écriture défendaient ce texte destiné à rémunérer leurs œuvres, tandis que de nombreuses associations citoyennes s’y opposaient, dénonçant un moyen pour les éditeurs de contrôler le contenu disponible sur les plateformes numériques et d’en brider ainsi la créativité.
Bataille de lobbyistes
A Strasbourg, ces deux points de vue irréconciliables ont entraîné une bataille de lobbyistes sans précédent. Les opposants à la directive, s’appuyant sur la défense de la liberté d’internet, ont réuni plus de cinq millions de signatures sur Change.org. Dans leur collimateur? Le rapporteur du texte, l’eurodéputé chrétien-démocrate allemand Axel Voss, accusé de faire le jeu de l’industrie culturelle et de ses géants via «un quasi-filtrage généralisé des contenus mis en ligne par les internautes».
Le droit d’auteur, ce n’est pas la censure, c’est la liberté de création et la diversité de l’information ! Sans droit d’auteur, il n’y a pas d’Europe de l’innovation et de la culture. #yes2copyright https://t.co/WIXoNbuRKF
— Élysée (@Elysee) March 25, 2019
A l’inverse, les partisans de la directive, regroupés dans le collectif Europe for Creators, ont mis en avant le déséquilibre entre les revenus colossaux générés par les plateformes et la paupérisation du secteur de l’édition et de la culture dans l’UE, marché d’environ 500 millions de consommateurs en ligne. Selon un récent sondage Harris Interactive, 87% des utilisateurs européens d’internet soutiennent une législation qui protège les droits des créateurs vis-à-vis des géants d'internet. Ainsi 67% des répondants estiment que les plateformes ont plus de pouvoir que l’UE et 61% jugent la souveraineté et l’indépendance des pays européens «compromises» par les plateformes numériques.
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Le débat s’était aussi invité en mars, lors de la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Son rapporteur spécial sur la liberté d’expression, David Kaye, avait estimé «que le filtrage avant toute publication n’est une réponse ni nécessaire ni proportionnée à la violation du droit d’auteur en ligne […] A long terme, cela mettrait en péril l’avenir de la diversité de l’information et du pluralisme des médias en Europe, puisque seuls les plus gros payeurs pourront s’offrir ces technologies.»
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