La chancelière allemande, Angela Merkel, n’en finit pas de payer politiquement cette décision. Elle se rendra jeudi soir à Bruxelles pour le début du sommet européen plus affaiblie que jamais. L’heure n’est plus à l’ouverture. Les projets de relocalisation de migrants entre pays européens, pour soulager l’Italie, la Grèce et l’Espagne, sont au point mort. Les anciens pays de l’Est ne veulent toujours pas en entendre parler. L’Autriche et son gouvernement de coalition avec l’extrême droite, qui présidera l’Union européenne dès la semaine prochaine, non plus.
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«Débat enflammé»
L’Italie, qui a porté toutes ces dernières années une grande partie du fardeau des arrivées, a mis les pieds au mur. Matteo Salvini a interdit aux navires d’ONG qui recueillent les migrants en Méditerranée de les débarquer en Italie. Après l’Aquarius, finalement accueilli par l’Espagne il y a dix jours, d’autres bateaux font les frais de cette nouvelle posture. Un navire affrété par l’ONG allemande Lifeline a finalement accosté à Malte mercredi soir. Plusieurs pays européens se sont en effet engagés à prendre une part des 233 migrants à bord.
«Le débat sur les migrations s’enflamme de plus en plus», a souligné Donald Tusk, président du Conseil européen, dans une lettre envoyée aux 28 chefs d’Etat et de gouvernement avant la réunion de Bruxelles. «De plus en plus de gens commencent à croire que seule une autorité forte, anti-européenne et anti-libérale dans l’esprit, avec une tendance à l’autoritarisme manifeste, est capable de stopper la vague de migration illégale», met en garde le Polonais.
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Ouvrir des ports hors d’Europe
Pour régler cette «crise», il n’est plus question de remettre sur l’ouvrage une répartition des migrants entre pays européens. Encore moins de revoir le système de Dublin, qui permet aux membres de l’espace Schengen, Suisse y compris, de renvoyer les migrants vers le premier pays d’entrée, faisant porter l’essentiel du fardeau à l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Pour calmer Rome, Donald Tusk propose de créer des «plateformes pour débarquer les migrants hors d’Europe». Seconde idée: un fonds pour lutter contre l’immigration illégale, qui serait une sorte de contrepartie aux pays qui voudraient bien ouvrir leurs ports aux bateaux de migrants. Enfin, l’Europe est appelée à renforcer sa coopération avec les gardes-côtes libyens.
C’est justement cette collaboration qui a permis de faire baisser les départs depuis les côtes libyennes. Mais à quel prix? En novembre dernier, Amnesty International dénonçait le soutien européen aux gardes-côtes libyens, accusés de collaborer avec les passeurs. Quand ils sont interceptés par les Libyens, les migrants sont emprisonnés ou remis aux bourreaux qui les avaient extorqués avant de les entasser sur des rafiots à destination de l’Italie. L’Europe espère rééditer l’accord passé avec la Turquie en 2015, qui avait permis de juguler les débarquements sur les îles grecques. Mais la situation est bien pire en Libye.
La proposition d’ouvrir des ports en dehors de l’Europe ne convainc pas davantage Vincent Chetail, directeur du Centre des migrations globales à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). «Le Conseil européen peut décider ce qu’il veut mais les pays extra-européens sont souverains. Je ne vois pas pourquoi l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ou l’Egypte géreraient les flux de migrants, qui ne font que transiter chez eux. Comme l’Europe n’arrive pas à trouver de solutions, elle veut une nouvelle fois externaliser le problème.»