Le Royaume-Uni est bel et bien devenu le dénominateur commun de l’Union européenne. Dès l’ouverture de leur sommet mercredi à Bruxelles, les dirigeants des 27 autres pays de l’UE ont rapidement fait le tour de la question du Brexit. Pas possible, en l’état, d’aller de l’avant. La première ministre britannique, Theresa May, est donc repartie, après moins de deux heures de discussion, avec la même liste de questions posées par ses pairs.

«Toutes les solutions techniques sont connues, a précisé jeudi le président français, Emmanuel Macron. C’est aux Anglais de revenir avec une solution pour finaliser comme prévu un accord de retrait dans les prochaines semaines.» Oublié, le risque parfois agité de fractures au sein de l’UE à propos des futures relations avec Londres. «Sur ce sujet, le danger n’est pas notre désunion, c’est notre impossibilité à obtenir des Anglais le divorce clair et en bon ordre dont nous avons tous besoin», reconnaissait hier un diplomate bruxellois.

Dérapage budgétaire «sans précédent»

Le Brexit digéré, place à un front commun sur les autres sujets clés? La réalité n’est malheureusement pas celle-là. Car l’UE voit déjà poindre un lourd nuage chargé d’orages: celui de l’Italie, dont le projet de budget transmis cette semaine à Bruxelles – avec 22 milliards d’euros supplémentaires de déficit par rapport à 2017 – risque de relancer l’affrontement politique nord-sud.

Le premier avertissement est d’ailleurs venu jeudi de la Commission européenne, chargée d’examiner tous les projets de budget des Etats membres dans le cadre du «semestre de coordination» mis en place après la crise financière de 2008. Dans une lettre au gouvernement italien, après réception de son projet de loi de finances, l’exécutif communautaire a dénoncé d’emblée le dérapage budgétaire «sans précédent dans l’histoire du Pacte de stabilité et de croissance» de l’Italie pour 2019, réclamant des «clarifications» et des observations avant lundi prochain. Une mise en demeure qui frôle la «perte de face» pour les autorités de Rome, alors que les 27 enchaînent ce vendredi avec le sommet du dialogue Europe-Asie (ASEM), ce forum dont la Suisse est membre depuis 2012. Le président de la Confédération, Alain Berset, est d’ailleurs arrivé jeudi soir à Bruxelles pour y participer.

Trois sujets majeurs à l’agenda

La question italienne n’est pas encore traitée en mode «crise». Mais si l’impasse budgétaire se confirme entre la Commission et Rome, les dommages collatéraux pourraient être rapides. Difficile, voire impossible, par exemple, d’imaginer un gouvernement transalpin donnant son accord au projet de réforme de la gouvernance de la zone euro défendu par la France et l’Allemagne, qui sera soumis au sommet européen de décembre.

Trois sujets majeurs sont à l’agenda: l’achèvement de l’Union bancaire, la définition d’un budget pour la zone euro, et la réforme du mécanisme européen de stabilité basé à Luxembourg, destiné à intervenir en cas de nouveau choc financier. Or, sur chacun de ces dossiers, le dilemme est évident: si l’accord de l’Italie, troisième économie de l’eurozone, est indispensable, personne ne croit les dispositifs en place suffisamment forts pour venir au secours de Rome si les marchés financiers se mettent à douter de la Péninsule, voire à la boycotter: «En théorie, ce qui se passe en Italie plaide plutôt pour équiper vite la zone euro de meilleurs mécanismes, complète un haut fonctionnaire de la Commission. Mais vu la taille de l’économie italienne, et vu les risques encourus, certains pays peuvent être tentés de différer l’échéance.» Une prudence déjà de mise aux Pays-Bas, vent debout contre l’aggravation prévue des dépenses publiques préconisée par le gouvernement de coalition Lega-5 étoiles.

L’Italie a besoin de l’Europe sur la question migratoire et sa dette n’est aujourd’hui plus financée que par les banques italiennes. Pour l’heure, le rapport de force n’est pas en sa faveur.

L’autre conséquence de la surenchère italienne est le risque de voir s’accroître les fissures, au sein de l’UE, vis-à-vis de pays tiers comme la Russie ou la Chine, toutes deux représentées au sommet Europe-Asie. Le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, a ainsi fait savoir jeudi que son pays est favorable à la reprise des financements des PME transalpines en Russie par la Banque européenne d’investissement (BEI). Difficile d’oublier aussi que le programme de la coalition au pouvoir à Rome évoquait noir sur blanc un rapprochement avec Moscou, partenaire commercial «incontournable» et «interlocuteur stratégique».

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Or la France et l’Allemagne restent fermes sur la question des sanctions, en raison de la guerre en Ukraine, et sur la nécessité de défendre la «souveraineté européenne» en matière d’investissements stratégiques, pour éviter de rééditer des cessions problématiques comme celles du terminal portuaire de conteneurs du Pirée (Grèce) au géant chinois Cosco en janvier 2016, dans le cadre des privatisations… imposées par le mémorandum négocié entre Athènes et l’UE.

Compliqué néanmoins, pour Paris, de tancer les écarts budgétaires de Rome alors que la France vient tout juste de sortir, en mai dernier, de la procédure pour «déficit excessif» dans laquelle elle se trouvait… depuis 2009. «La question est celle du cadre commun, conclut un diplomate. L’Italie a besoin de l’Europe sur la question migratoire et sa dette n’est aujourd’hui plus financée que par les banques italiennes. Pour l’heure, le rapport de force n’est pas en sa faveur.»