Itinéraire
Un tsunami de députés jamais élus auparavant s’apprête, dimanche, à déferler sur l’Assemblée nationale. Investis par La République en marche!, ils n’ont pour la plupart jamais rencontré celui à qui ils doivent tout: le président de la République, Emmanuel Macron. Portrait d’une déferlante qui rêve de transformer la France

C’est un courriel qui en dit long sur la recomposition de la vie politique française. Expédiées mercredi par le QG de La République en marche! (LREM), le mouvement créé en avril 2016 par Emmanuel Macron, ces quelques lignes disent la vision «macroniste» de la conquête et de l’exercice du pouvoir. «Conscient de l’affaiblissement du lien entre les partis et une grande partie des Français, le mouvement poursuivra au-delà des législatives le travail engagé en lançant une consultation nationale pour définir de nouvelles manières d’impliquer les citoyens», peut-on lire. Une adresse e-mail (idées@en-marche.fr) suit pour les suggestions. Et un lien pour les «ateliers de réflexion»…
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Fin du militantisme à l’ancienne
Oubliés le militantisme à l’ancienne et les fidélités partisanes mâtinées – souvent – de copinage local. Pour La République en marche!, l’histoire ne s’arrête pas aux urnes et aux circonscriptions. Avoir, le 11 juin, décimé le Parti socialiste, déstabilisé la droite et repoussé l’assaut du Front national n’est qu’une première étape. 511 candidats LREM sur 529 (pour 577 sièges) ont beau être qualifiés pour le second tour, ces législatives ont rang d’étape: «L’un des secrets de notre succès, c’est d’avoir consulté les Français, de leur avoir demandé leur avis avant de solliciter leur vote. On ne les laissera pas tomber, élections ou pas», nous promettait en avril Mounir Mahjoubi, devenu depuis secrétaire d’Etat au Numérique et tombeur, à Paris, du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.
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Commentaire du politologue Pascal Perrineau: «L’opinion publique française lassée des partis, à tort ou à raison, rêvait d’un «ailleurs politique» indéfinissable. Emmanuel Macron l’a formalisé.»
Ce qui fait plaisir, c’est ce sentiment de ne plus être obligé de voter pour la gauche ou la droite et pour des professionnels de la politique
Rodolphe, 28 ans, jeune militant en Indre-et-Loire, est fier de cet «ailleurs». Il colle, entre les deux tours, des affiches pour Sabine Thillaye, candidate LREM très bien placée pour l’emporter dimanche à Saint-Cyr-sur-Loire, près de Tours. Comme tous ses collègues, cette cheffe d’entreprise d’origine allemande a fait campagne sur le visage du nouveau président, reproduit XXL à ses côtés.
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Culte de la personnalité? Populisme «soft»? «Ce qui fait plaisir, c’est ce sentiment de ne plus être obligé de voter pour la gauche ou la droite et pour des professionnels de la politique, rétorque l’étudiant tourangeau. Notre candidate est très impliquée dans les mouvements associatifs. Elle voit les choses autrement. Elle connaît la vraie vie. Si c’est ça, le populisme…»
Un bon député est celui qui vote la loi en ayant bien en tête ses conséquences sur la vie concrète des gens. Cela va être enfin le cas
Ce jour-là, le quotidien local La Nouvelle République s’inquiète de l’amateurisme de LREM. «Ils devront tout apprendre, assène le journal. Ils ne connaissent même pas le travail de parlementaire, la navette législative entre le Sénat et l’Assemblée, les débats en commission…» Grave? «J’ai été dans ma vie confronté à des apprentissages bien plus compliqués», riposte Stéphanie Rist, candidate LREM en ballottage favorable dans le Loiret. Cette rhumatologue, directrice d’hôpital, dit «fonctionner à l’affect». «Emmanuel Macron donne confiance à beaucoup de gens comme moi, habitués aux responsabilités publiques, mais jusque-là très méfiants envers la politique», explique-t-elle.
Consultez notre dossier dédié aux élections françaises.
Un journaliste parlementaire parisien acquiesce: «Un bon député est celui qui vote la loi en ayant bien en tête ses conséquences sur la vie concrète des gens. Cela va être enfin le cas». Sous-entendu: une révolution, après des décennies de domination de l’Assemblée par des technocrates ou d’ex-attachés parlementaires pieds et poings liés aux partis politiques, et cibles des lobbies.
Emmanuel Macron est le premier qui ne me parle pas comme un paternaliste
Il faut, peut-être, pour comprendre cette France «en marche» faire preuve d’un peu de naïveté. L’ancien «golden boy» numérique Bruno Bonnell est bien placé pour l’emporter dimanche face à l’ex ministre socialiste de l’Education Najat Vallaud-Belkacem. Il nous la joue idéaliste au téléphone: «En Marche, c’est un peu l’esprit de milice helvétique appliqué à la France, brode ce Lyonnais, candidat dans les quartiers populaires de Villeurbanne. On est des candidats du monde réel. On n’a pas été d’abord syndicaliste étudiant, puis permanent de parti, puis élu local, puis…».
Retrouvez notre suivi de la soirée du premier tour.
Bien compris. N’empêche. Cofondateur de la société de jeux vidéo d’Infogrames, puis patron d’Atari, l’intéressé est tout, sauf un nouveau venu. Ses culbutes financières et entrepreneuriales en ont laissé plus d’un sur le carreau. Ses amitiés technologiques et financières sont nombreuses. Vous avez dit «lobbies»? «Au contraire, je serai d’autant plus indépendant que je connais le monde et les lois de l’entreprise», argumente-t-il. Comme s’il était si facile de s’affranchir de ses attaches, antécédents ou liens professionnels.
De possibles zones d’ombre?
Qu’en penser? «La réalité est moins novatrice que l’affiche et les slogans, nuance un candidat battu au premier tour dans les Hauts-de-Seine, parce qu’il avait refusé de rallier Macron. LREM est un conglomérat. Beaucoup de nouveaux venus y côtoient des compagnons de route de longue date des cercles de pouvoir ou des partis traditionnels.» Le rhodanien Bonnell lorgna ainsi un temps vers le socialiste bourguignon Arnaud Montebourg, chantre du «Made in France». Autre exemple: l’un des ténors d’En Marche!, l’ex-élu socialiste Benjamin Griveaux bien placé pour être élu dimanche à Paris, était jadis dans le sillage de Dominique Strauss-Kahn…
Pascal Perrineau vient de publier Cette France de gauche qui vote FN (Seuil). Il analyse: «Emmanuel Macron a ouvert un espace aux déçus de la gauche et de la droite. Sa pensée, plus philosophique que politique, puise dans le «personnalisme» de la revue Esprit, une sorte de troisième voie entre libéralisme et marxisme. Il conçoit son mouvement comme un collectif d’individus capables chacun de s’épanouir car ils ne sont pas là pour faire carrière. Cette diversité de parcours séduit.» Quitte à découvrir, ensuite, que parmi les candidats LREM recrutés par Internet et interviewés par Skype, certains conservent des «zones d’ombre» qu’il faudra plus tard tirer au clair.
Les jeunes, l’arme fatale
La jeunesse surtout. C’est l’arme fatale d’En marche! 33% des 18-35 ans ont, le 11 juin, voté LREM, loin devant les candidats mélenchonistes de La France insoumise (20%). Gare: cette jeunesse-là n’est pas celle des régions défavorisées de province, ni celle des non-diplômés. Le nord et l’est désindustrialisés, terres de conquête du Front national, ont d’ailleurs mieux résisté que le reste du pays à la vague LREM. L’abstention a aussi été très forte parmi ces jeunes-là.
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La «génération Macron» est urbaine, bien éduquée, digitale. L’universitaire Jean-Louis Margolin était, le 1er mai, venu voir Macron pour son dernier meeting Porte de la Villette, à Paris: «On sent la nouveauté, la curiosité, l’envie parmi ces jeunes, explique-t-il. On sent aussi une forme de fierté devant l’exploit accompli. Macron est le candidat de la performance dans un pays qui n’aime pas trop la compétition.»
Beaucoup de nos marcheurs étaient jeunes, motivés, attirés par cette bouffée d’oxygène
Les sondages confirment la fracture. Les moins tentés par LREM ont été, le 11 juin, les 40-60 ans. Alors qu’ils se voyaient succéder aux soixante-huitards septuagénaires, les quinquas – candidats ou électeurs – sentent le vent du boulet. Leurs enfants pro-Macron les bousculent: «On oublie trop vite le travail que nous avons fait durant cette campagne présidentielle, raconte Joachim Son-Forget, très bien placé pour être le prochain député LREM des Français de Suisse. Beaucoup de nos marcheurs étaient jeunes, motivés, attirés par cette bouffée d’oxygène.»
Le charisme, carburant du «macronisme»
Le charisme est l’autre carburant du «macronisme». Peu de candidats LREM l’ont rencontré longuement, sauf (ironie) les professionnels de la politique au sein de son mouvement. On sourit lorsqu’une candidate nous parle, fière, de sa «formidable allure présidentielle». Ou qu’un autre, issu de la diversité, nous dit: «Il est le premier qui ne me parle pas comme un paternaliste. Il ne m’a pas demandé ce qu’il pouvait faire pour mon quartier. Il m’a dit ce que je dois faire pour m’en sortir.»
Naïveté? La volonté de croire dans cette «France en marche» n’en est pas moins palpable, réelle, massive dans les urnes. «Emmanuel n’a pas fait du théâtre pour rien. Il s’est découvert un goût du public. Il a le sens de l’échange. Il demande aux gens leur avis, ce que beaucoup de politiques français ne faisaient plus», justifie un ancien conseiller présidentiel qui a travaillé à ses côtés à l’Elysée, au début du quinquennat Hollande.
Effet Obama?
Les médias en raffolent et s’inquiètent d’ailleurs aujourd’hui d’être sevrés d’infos par l’Elysée. Effet Obama? L’ex-président américain était aussi affable que distant. Tout en charme et en prestance intellectuelle. Au point d’être détesté par une partie des classes populaires blanches…
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L’écrivain Erik Orsenna, compagnon de longue date et membre du collectif social-libéral «Les Gracques» inspirateur du programme d’Emmanuel Macron, a sillonné la France pour soutenir ces «marcheurs».
Les partis politiques français devraient, plutôt que de nous critiquer, s’interroger
Le vieux renard mitterandien de la littérature campe au rez-de-chaussée du modeste siège du futur parti qui, grâce à sa déferlante législative, pourrait percevoir près de 25 millions d’euros de financement public annuel entre 2017 et 2022. «Je les aime bien. Ils en veulent. Ils se battent. La force est avec eux», nous raconte-t-il.
Au soir du second tour, le Prix Goncourt 1988 ira de nouveau suivre les résultats à l’Elysée. «Un élan comme cela, ça ne s’explique pas poursuit l’écrivain. Il s’est nourri au fil des semaines. Les partis politiques français devraient, plutôt que de nous critiquer, s’interroger: pourquoi ont-ils fini, malgré leurs élus si bien implantés, à s’éloigner autant de la majorité des citoyens?»
En dates:
6 avril 2016: Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie dans le gouvernement de Manuel Valls, lance le mouvement En marche!
Mai 2016: Début de la grande marche à travers la France. 100 000 «discussions» seront menées par les militants. Plus de 20 000 questionnaires seront remplis et dépouillés.
12 juillet 2016: Premier meeting public d’Emmanuel Macron à la Mutualité, à Paris.
16 novembre 2016: Emmanuel Macron annonce, à Bobigny, sa candidature à la présidence de la République.
25 février 2017: En marche! dépasse les 200 000 adhérents.
7 mai 2017: Emmanuel Macron est élu à l’Elysée, avec 66,1% des voix, face à Marine Le Pen.
8 mai 2017: Le mouvement est rebaptisé La République en marche! (LREM), avec pour objectif de devenir un parti politique à part entière. Son congrès fondateur est annoncé pour juillet.
11 juin 2017: Sur les 529 candidats LREM investis pour les législatives, 511 se qualifient pour le second tour. Les projections accordent au futur parti présidentiel plus de 400 sièges de députés sur 577 au soir du 18 juin.