Mariano Rajoy aime donner de lui une image de sagesse. «Il ne convient pas, dans aucune facette de la vie, d’anticiper les événements», a-t-il dit une fois, lorsqu’il s’agissait d’«anticiper» à quelles conditions il accepterait de former un nouveau gouvernement. Mariano Rajoy est un homme de bon sens. «C’est très clair: un verre est un verre et une assiette est une assiette», répondait-il à une question sur la possible création d’un Etat catalan séparé de l’Espagne. Mariano Rajoy est un pragmatique. «Il faut gouverner comme Dieu le commande, là où l’on gouverne, et pas ailleurs», affirmait-il en suggérant aux Catalans qu’ils seraient forcés de se passer de lui dans le cas où ils opteraient pour l’indépendance.

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Un emblème de la crispation

A mesure que se précipitait la crise catalane, Mariano Rajoy a affûté ses formules. «Chaque illégalité trouvera sa réponse, ferme et proportionnelle», assure désormais celui qui s’est converti, pour ses opposants, en emblème de la «crispation» des autorités de Madrid face à Barcelone. C’est Rajoy qui a décidé l’envoi en Catalogne de milliers de policiers et de membres de la Guardia civil, qui a fait arrêter des responsables catalans, qui a ordonné la destruction de millions de bulletins de vote destinés au référendum de dimanche.

Au vrai, le premier ministre espagnol se serait sans doute passé de ce premier rôle, tant il contrevient aux deux principes qui, depuis des décennies, semblaient guider sa carrière politique: éviter, autant que possible, de se placer sous les feux de la rampe et manier, autant que nécessaire, l’ambiguïté.

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Longévité politique improbable

Mariano Rajoy est aujourd’hui, de très loin, l’homme politique espagnol qui a passé le plus de temps au pouvoir ou dans sa périphérie immédiate: député durant neuf législatures, cinq fois ministre, trois années en tant que vice-premier ministre, huit ans chef de l’opposition, bientôt six ans comme chef du gouvernement… Pareille longévité politique apparaîtrait improbable un peu partout ailleurs. En Espagne, elle est tout bonnement impensable tant, tout autour de Rajoy, le chemin est jonché de cadavres politiques.

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Rajoy dirige un Parti populaire (PP) dont la corruption a été avérée jusqu’aux plus hauts échelons. L’affaire Gürtel, qui a prouvé l’ampleur du fléau; le cas Barcenas, du nom de l’ex-trésorier du PP, qui a mis en lumière l’existence d’une comptabilité parallèle du parti… Tout cela n’a pas empêché onze millions d’électeurs de porter au pouvoir, en 2011, le patient Mariano Rajoy, après deux tentatives infructueuses. Au même moment, l’Espagne traversait la pire crise économique de son histoire récente, des pans entiers du pays semblaient s’effondrer, et les rivaux socialistes se montraient incapables de résister face à la montée du mouvement des indignés, et bientôt de Podemos.

Pas d’intérêt pour la politique internationale

Sur la question de la corruption, Mariano Rajoy s’en remet aux tribunaux, il esquive, il fait le dos rond, puis dégaine une autre formule: «Le temps met chacun à sa place», l’équivalent ibérique de laisser le temps au temps. C’est la même recette qu’il aura tentée, pendant des années, face au pourrissement de la relation avec la Catalogne. Il est servi par un effondrement parallèle de la classe politique catalane, dont la figure de proue historique, Jordi Pujol, est aussi engloutie jusqu’au cou par une affaire de corruption.

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L’urgence, il faut le reconnaître, est ailleurs. A un pays qui réclame à cor et à cri d’être placé sous tutelle économique, à l’image de la Grèce, Rajoy répond par des bravades et par des mesures d’austérité sans précédent. De son propre aveu, il ne s’est jamais vraiment intéressé à la politique internationale, et se montre pratiquement invisible dans les dossiers européens. Mais ici, il obtient le soutien d’Angela Merkel, de Nicolas Sarkozy et des milieux économiques. Le temps a joué en sa faveur. Mariano Rajoy n’en tire pas gloire: les politiques qu’il mène sont toujours différentes de celles qu’il «aurait aimé mener». C’en est devenu son leitmotiv.

«Rajoy ne défend pas des idées, il cultive des rancœurs»

«Rajoy ne défend pas des idées, il cultive des rancœurs», dit de lui Federico Jiménez Losantos, un journaliste iconoclaste qui lui a consacré une biographie. Comme jamais, le premier ministre espagnol est aujourd’hui pris à son propre piège, tant son indifférence vis-à-vis des aspirations d’une partie des habitants de la Catalogne se conjugue avec les conséquences de la crise économique qui a frappé l’Espagne, et dont l’éruption catalane actuelle est en partie une des manifestations.

Héritier, même lointain, d’une certaine tradition politique (il fit ses premiers pas, dans sa Galice originaire, en tant que bras droit de Manuel Fraga, l’ancien ministre de la Propagande du général Franco), Manuel Rajoy, malgré toutes ses sinuosités, se raccroche désormais à un seul credo: celui d’un Etat central fort. Qui n’en ferait pas autant, après quatre décennies entières passées exclusivement en son sein?