Espagne
Une majorité des députés a approuvé la motion de censure déposée par le Parti socialiste (PSOE) de Pedro Sanchez, qui succède à Mariano Rajoy, coulé par un scandale de corruption

Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, coulé par un scandale de corruption, a été renversé vendredi par le parlement. Il a dans le même temps accordé sa confiance au socialiste Pedro Sanchez.
La motion de censure contre le dirigeant conservateur, qui est resté au pouvoir plus de six ans, a été adoptée par 180 voix pour, 169 voix contre et une abstention. Peu avant le vote, Mariano Rajoy avait admis sa défaite: «Nous pouvons présumer que la motion de censure sera adoptée. Par conséquent, Pedro Sanchez va être le nouveau président du gouvernement», a-t-il déclaré en félicitant son rival.
Le sort de Mariano Rajoy s’est donc joué en à peine une semaine, depuis le dépôt de cette motion, le vendredi 25 mai, par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Pedro Sanchez, au lendemain de l’annonce de la condamnation du Parti populaire du chef du gouvernement dans un méga-procès pour corruption, baptisé Gürtel.
Lire notre revue de presse: En Espagne, le président Rajoy devrait céder sa place au «beau mec» socialiste
Une page de l’histoire politique espagnole se tourne. Au pouvoir depuis décembre 2011, Mariano Rajoy, 63 ans, avait jusqu’ici survécu à plusieurs crises majeures, de la récession – face à laquelle il a imposé une sévère cure d’austérité – aux mois de blocage politique en 2016, jusqu’à la tentative de sécession de la Catalogne l’an dernier.
Lire aussi: En Espagne, le gouvernement de Mariano Rajoy est sur la sellette
«Enfin nous renvoyons le Parti populaire (PP de Mariano Rajoy) chez lui», s’était félicité jeudi le leader du parti de la gauche radicale Podemos, Pablo Iglesias.
Un coup de poker politique
«Votre isolement, Monsieur Rajoy, constitue l’épitaphe d’une période politique, la vôtre, qui est déjà finie», a lancé pour sa part Pedro Sanchez, un ancien professeur d’économie surnommé le «beau mec» en Espagne.
A 46 ans, Pedro Sanchez tient enfin sa revanche, lui dont l’investiture à la tête du gouvernement avait été rejetée par les députés en mars 2016 ,avant qu’il ne récolte en juin de la même année le pire score de l’histoire du PSOE aux élections législatives. Débarqué de sa formation à la suite de cette déroute électorale, il en a repris les rênes l’an dernier grâce au soutien de la base contre les barons du PSOE.
Monté au front contre Mariano Rajoy dès l’annonce, le 24 mai, de la condamnation du PP dans l'affaire Gürtel, il a tenté cette fois avec succès un coup de poker politique.
Pedro Sanchez en quelques dates:
29 février 1972 Naissance à Madrid.
1993 Licencié en sciences économiques à l’Université Complutense de Madrid. Adhère au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
1999 Chef de cabinet du haut représentant des Nations unies en Bosnie.
2004-2009 Conseiller municipal à Madrid.
2009-2011 Député socialiste à Madrid, puis de nouveau en 2013-2014.
13 juillet 2014 Premier secrétaire général du PSOE à être élu par les militants. Contraint à la démission en 2016 par l’appareil du parti, réélu par la base en 2017.
1er juin 2018 Accède à la tête du gouvernement espagnol.
Coup fatal des nationalistes basques
Pedro Sanchez a dû former autour des 84 députés socialistes une majorité hétéroclite allant de Podemos aux indépendantistes catalans et aux nationalistes basques du PNV. Ces derniers, qui comptent 5 députés, ont porté le coup fatal à Mariano Rajoy jeudi après-midi en se ralliant à la motion socialiste après avoir pourtant voté le budget du gouvernement la semaine dernière.
Afin de convaincre le PNV, Pedro Sanchez a dû assurer qu’il ne toucherait pas à ce budget, qui prévoit des largesses financières pour le Pays basque. Il a en outre promis aux indépendantistes catalans qu’il essaierait de «jeter des ponts pour dialoguer» avec le gouvernement régional de Quim Torra.
Lire aussi: «Nous avons face à nous un Etat brutal, qui place l’unité de l’Espagne au-dessus de tout»
Une marge de manœuvre limitée
Reste à savoir désormais combien de temps Pedro Sanchez, qui veut faire adopter des mesures sociales et a promis de convoquer par la suite des élections, sera en mesure de gouverner avec une majorité qui apparaît totalement instable. Ses alliés de circonstance ont d’ailleurs tous souligné que leur vote contre Rajoy n’était pas un chèque en blanc. Podemos a déjà réclamé de pouvoir entrer au gouvernement.
«La marge de manœuvre pour de grandes réformes économiques apparaît très limitée et l’issue la plus probable est la convocation d’élections anticipées d’ici à douze mois», prédit Antonio Barroso, analyste auprès du cabinet Teneo Intelligence.
L’affaire de trop
La condamnation du PP dans le procès Gürtel pour avoir bénéficié de fonds obtenus illégalement aura donc été l’affaire de trop pour Mariano Rajoy, dont le PP est empêtré dans plusieurs scandales, et qui devrait devenir vendredi le premier chef de gouvernement renversé par une motion de censure en Espagne depuis le retour à la démocratie. Les trois précédentes – 1980, 1987 et 2017, cette dernière déjà contre lui – ont échoué.
Dans cette affaire, les juges ont conclu à l’existence d’un «authentique système de corruption institutionnelle» entre le PP et un groupe privé à travers la «manipulation de marchés publics», ainsi qu’à l’existence d’une «caisse noire» au sein du parti. Ils ont de plus mis en doute la crédibilité de Mariano Rajoy, qui avait nié l’existence de cette comptabilité parallèle devant le tribunal.