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A Marseille, les atrocités de la Seconde Guerre mondiale refont surface

La justice française enquête sur un épisode relativement méconnu de la guerre: le transfert forcé d’au moins 20 000 Marseillais suivi de la destruction d’un quartier populaire de la ville

La rafle a été conduite sous les ordres de René Bousquet, deuxième en partant de la droite sur la photographie. Hôtel de ville de Marseille, 23 janvier 1943. — © Wolfgang Vennemann/Bundesarchiv.de
La rafle a été conduite sous les ordres de René Bousquet, deuxième en partant de la droite sur la photographie. Hôtel de ville de Marseille, 23 janvier 1943. — © Wolfgang Vennemann/Bundesarchiv.de

Hitler voulait épurer le «chancre de l’Europe»: une enquête a été ouverte pour crimes contre l’humanité afin de retrouver d’éventuels responsables encore en vie des persécutions et du transfert forcé en 1943 d’au moins 20 000 Marseillais lors de la rafle dite du Vieux-Port.

Septante-six ans après les faits, l’enquête a été ouverte le 29 mai par le pôle du parquet de Paris spécialisé dans ce type de crimes imprescriptibles. Elle fait suite à une plainte contre X déposée par un avocat marseillais, Me Pascal Luongo, au nom de quatre survivants et de descendants de victimes de cet épisode relativement méconnu de la Seconde Guerre mondiale.

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Entre les 22 et 24 janvier 1943, une série de rafles, parmi les plus vastes avec celle du Vel' d’Hiv' six mois plus tôt à Paris, a été conduite dans les vieux quartiers de Marseille sur décision des nazis avec la collaboration active de Français, sous les ordres de René Bousquet. A Marseille, près de 800 juifs du quartier de l’Opéra ont été envoyés à la mort dans les camps d’exterminations nazis. Et tout un quartier populaire baptisé «la petite Naples», cœur historique de la cité phocéenne derrière le Vieux-Port, a fait l’objet d’une deuxième rafle, vidé de force de ses habitants, pour beaucoup des immigrés italiens, puis dynamité.

© Wolfgang Vennemann/Bundesarchiv.de
© Wolfgang Vennemann/Bundesarchiv.de

«Ça a été passé sous silence»

«On attend que les faits soient reconnus, et qu’ils soient inscrits dans les livres d’histoire», a réagi l’une des plaignantes, Antoinette Castagno, évacuée avec ses quatre frères et sœurs au petit matin du 23 janvier 1943, à l’âge de 9 ans. Entassée dans un wagon à bestiaux et transférée dans des baraquements insalubres à Fréjus, sa famille était rentrée à Marseille une semaine après, et avait trouvé son domicile saccagé et pillé: «Nous avons tout perdu, et ça a été passé sous silence».

L’ouverture d’une enquête judiciaire «est le premier pas vers une juste reconnaissance d’un passé douloureux. Toute leur vie, les survivants n’ont pas pu mettre de mot sur ce qu’il s’était passé», a commenté Me Pascal Luongo, dont le grand-père a fait partie des victimes de cette rafle. Les investigations ont été confiées à des policiers marseillais, qui vont pouvoir entendre des survivants, aujourd’hui octogénaires, a-t-il précisé.

Selon sa plainte, l’opération «Sultan» a conduit sur la rive nord du Vieux-Port à l’évacuation d’environ 20 000 personnes, la destruction de 1500 immeubles sur 14 hectares et le transfert forcé, dans des conditions inhumaines, de 12 000 personnes dans un camp de rétention à Fréjus. «800 personnes parmi ces 12 000 seront déportées en Allemagne, notamment au camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen […] et certaines y périront».

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Actes inhumains

«Cette population civile, ciblée pour son lieu d’habitation et ses origines, a vécu des arrestations arbitraires, persécutions, transferts forcés, déportations et atteintes volontaires à la vie, autant d’actes inhumains dans un plan concerté pour le compte d’un Etat, l’Allemagne nazie, mais aussi de l’Etat français de Vichy», souligne la plainte. «"Sultan" est l’une des plus importantes opérations militaro-policières» de la Seconde Guerre mondiale en France, souligne Michel Ficetola, un descendant d’Italiens de Marseille qui explique avoir rencontré des dizaines de survivants et descendants pour retracer leur histoire.

Le quartier qui a été anéanti, très cosmopolite et habité par des immigrés pauvres, était «un labyrinthe de rues qui était l’antithèse de ce que les nazis et leurs collaborateurs voulaient», explique-t-il, insistant sur la «préméditation» des autorités française qui voulaient faire table rase de ces 14 hectares.

Les survivants n’excluent pas que la justice puisse poursuivre des responsables, des personnes morales ou les Etats allemands et français. «On ne désespère pas de retrouver un Français ou un Allemand qui a participé, sous l’uniforme. Un procès historique pourrait alors se tenir», conclut Michel Ficetola.