Martin Schulz tente sa dernière chance
Allemagne
Les sociaux-démocrates allemands réunis en congrès dimanche à Dortmund ont adopté leur programme électoral en vue des législatives de septembre. Le challenger d’Angela Merkel a lancé l’offensive contre la chancelière. Il avait appelé Gerhard Schröder à la rescousse

Voilà bien longtemps que Gerhard Schröder n’avait pas participé à un congrès du SPD. L’héritage de l’ancien chancelier, avec ses réformes d’inspiration libérale, continue de diviser au sein du Parti social-démocrate allemand. Mais Schröder a aussi été le dernier leader social-démocrate à avoir gagné les élections. Dimanche il a tenté de redonner du courage aux quelque 600 délégués réunis à Dortmund pour adopter le programme qui doit les mener vers la victoire en septembre.
Gerhard Schröder a exhorté les «camarades» à se mobiliser pour rattraper leur retard de 15 points dans les sondages sur la CDU d’Angela Merkel. «Nous avons une chance, si nous mobilisons nos forces dans les prochaines semaines… D’ici à septembre, il reste beaucoup de temps pour inverser la tendance. Souvenez-vous, en 2005 nous avons réussi à remonter de plus de 20 points en quelques semaines», a-t-il ajouté. Cette année-là, le SPD avait perdu les élections de très peu, à un point de la CDU.
Crèches gratuites, mariage homosexuel et réforme fiscale
Martin Schulz, longuement applaudi par les délégués à l’issue d’un discours de près d’une heure trente, est pour sa part passé à l’offensive, attaquant pour la première fois frontalement sa rivale: «Depuis 2009, Merkel n’a qu’une stratégie: ne pas se positionner», a estimé Martin Schulz, parlant même de «menace pour la démocratie» lorsque la chancelière refuse de croiser le fer avec l’opposition. «Pendant que nous nous soumettons au débat, l’autre camp se tait. La CDU n’a d’autre stratégie que de mettre en avant la personne d’Angela Merkel. Ça a marché en 2009 et en 2013. Mais il faut avoir présent à l’esprit ce que ça veut dire lorsqu’un gouvernement refuse tout débat sur l’avenir du pays. Pour moi, c’est une attaque contre la démocratie. Le plus grand danger, c’est l’arrogance du pouvoir!»
L’ancien président du Parlement européen a également présenté les trois thèmes de sa campagne: justice sociale, relance de l’investissement et de l’intégration européenne. S’il est élu, Martin Schulz s’engage à imposer la gratuité des crèches et à faire adopter le mariage homosexuel. «Je ne signerai aucun accord de coalition dans lequel le mariage pour tous ne figurera pas», assure le candidat, avant de présenter le cœur de son programme: une réforme fiscale en faveur d’une plus grande justice sociale.
La tranche supérieure de l’impôt sur le revenu doit notamment passer de 42% à 45% à partir de 60 000 euros de revenu imposable pour un célibataire. Les très gros revenus (plus de 250 000 euros) seront pour leur part soumis à une taxe spéciale de 48% tandis que les classes moyennes seraient exonérées de 15 milliards d’euros. Les propositions du SPD étaient aussitôt tournées en ridicule par le chef de campagne d’Angela Merkel, Peter Tauber, qui accuse Martin Schulz de vouloir «mener une politique du dalmatien: un programme en cinq points ici; un discours en 10 points là, on ne voit que des points!».
Terne et provincial face à une femme au sommet
Martin Schulz est à la recherche de bonnes recettes… Le 9 juin, au lendemain des élections en Grande-Bretagne, le challenger d’Angela Merkel à la Chancellerie twittait: «Viens de téléphoner avec Jeremy Corbyn. Nous avons convenu de nous rencontrer rapidement.» Un sprint de dernière minute venait de permettre au leader du Parti travailliste britannique de priver Theresa May de sa majorité absolue lors des législatives. Pour le président du Parti social-démocrate allemand, à la traîne dans les sondages, le temps presse en effet. Après un départ en fanfare, au début de l’année, sa campagne électorale semble enlisée, depuis le coup d’arrêt des trois défaites subies par le SPD lors des élections régionales du printemps. Le SPD accuse depuis un retard de 12 à 15 points derrière la CDU au gré des sondages. Vendredi, il était crédité de 25% des intentions de vote, contre 39% pour la CDU.
Martin Schulz a-t-il encore une chance de remporter son pari, et de détrôner l’inamovible Merkel? Politologues et observateurs ne semblent plus trop y croire.
Face au «bonus» dont la cheffe du gouvernement dispose avec son poste à la Chancellerie, son rival semble bien terne et provincial. Fidèle à son vieux credo selon lequel il n’y aurait «pas de meilleure campagne électorale que l’exercice du pouvoir», Merkel multiplie les apparitions publiques aux côtés d’Emmanuel Macron pour sauver l’Europe, ou entourée des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 en Sicile pour réorganiser la défense européenne ou sauver le climat face à Donald Trump. Début juillet, elle recevra à Hambourg les 19 plus puissants dirigeants de la planète, dans le cadre du G20, organisé cette année par l’Allemagne. «Merkel est la femme au sommet», résume le politologue de l’Université libre de Berlin Gero Neugebauer. Face aux inquiétudes suscitées en Allemagne par l’élection de Donald Trump, par le Brexit, ou la montée des populismes, la chancelière apparaît aux yeux de l’opinion comme le meilleur rempart et un pôle de stabilité. «Angela Merkel, constate le magazine Der Spiegel, provoque le SPD en refusant de s’engager sur le terrain de la campagne électorale.»
Erreurs tactiques
Mais Schulz a aussi multiplié les erreurs tactiques, en choisissant par exemple de disparaître un temps en début d’année de la scène politique pour ne pas faire d’ombre à la candidate du SPD aux régionales de Rhénanie. Ces derniers temps, il apparaît souvent épuisé, incapable de dévier du script de ses discours, mal entouré. Son équipe de campagne a notamment pris du retard sur les réseaux sociaux. Ni élu du Bundestag ni ministre, le chef du SPD est également absent des débats parlementaires, très suivis par les observateurs en Allemagne.
Seul son biographe Manfred Otzelberger semble encore croire en un retournement de situation d’ici à septembre. «Il est pour l’instant au-dessous de son potentiel. Je ne le donnerais pas vaincu d’avance, l’homme est tenace», assure-t-il.