Meghan, Harry, le palais et la machine médiatique à broyer
Famille royale
Le couple accuse la famille royale de ne pas l’avoir protégé. En arrière-fond, une guerre médiatique, latente depuis deux décennies, se ravive

Sortez les points d’exclamation! Imprimez des titres énormes et en gras!! Prenez un ton scandalisé!!! La foire du trône britannique a retrouvé ces jours-ci des airs des années 1990, au temps où Diana était poursuivie de paparazzi, où la famille royale lavait son linge sale en public et où les tabloïds désignaient les gentils et les méchants du plus grand «soap-opéra» du monde.
Qu’on se le dise, Harry et sa femme Meghan ont osé tout déballer face à la grande prêtresse de la télévision confessionnelle américaine, Oprah Winfrey. Ils disent tout (!), nous promettait-on depuis des semaines. Comment osent-ils (!!), s’indignait une presse britannique qu’on a connue moins sourcilleuse. Tout cela se finira mal (!!!), se dit-on. La fameuse interview de deux heures, préenregistrée, a finalement été diffusée sur la chaîne américaine CBS dans la nuit de dimanche à lundi. Les Britanniques devront attendre ce lundi soir pour la regarder sur ITV, la première chaîne commerciale du pays. En France, c’est le groupe TF1 qui a décroché l’exclusivité, sur TMC ce lundi soir.
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Le couple princier ne s’est pas retenu, décrivant une famille royale froide, calculatrice, qui lui a coupé les vivres. Harry raconte comment son père, le prince Charles, avait cessé pendant une période de lui répondre au téléphone. Il l’accuse de l’avoir «laissé tomber», alors que ce dernier «avait vécu quelque chose de similaire». Quant à son frère, ils sont «sur un chemin différent».
Meghan raconte une vie contrôlée en permanence, ne lui laissant aucune possibilité de décision, lui donnant le sentiment d’être abandonnée. Elle évoque un membre de la famille royale – qu’elle ne nomme pas – lui demandant si la couleur de peau de son fils serait «sombre». Quant aux articles de presse aux relents racistes de quelques tabloïds britanniques, personne dans la famille royale ne lui en a jamais parlé, alors même qu’un groupe de députés s’était ému de la situation. «Pensiez-vous à vous faire du mal, aviez-vous des idées suicidaires?» demande Oprah Winfrey. «Oui, très clairement, répond Meghan, je ne voulais juste plus vivre.»
Epargner Elisabeth II
Le couple princier retient cependant ses coups contre une personne: la reine, sans doute trop populaire, et intouchable à 94 ans après l’un des plus longs règnes de l’histoire. Harry affirme que ses relations avec sa grand-mère sont «excellentes».
Récapitulons, sans point d’exclamation, pour ceux qui vivraient dans un univers parallèle. Le prince Harry, fils cadet du prince Charles, qui n’a aucune chance de jamais accéder au trône, s’est marié en 2018 avec une actrice américaine métisse, Meghan Markle. Le choc des cultures a été frontal. D’un côté, la «firme» – le mot utilisé par Meghan – où rien ne change jamais, dont les raisons d’être sont de ne pas avoir d’opinion et d’assurer la représentation dans les cérémonies avec le sourire. De l’autre, une femme divorcée qui a une carrière et ne cache pas son dégoût de Donald Trump à l’occasion.
Après des tensions croissantes, Meghan et Harry ont déménagé au Canada puis en Californie début 2020. En février, la rupture est devenue définitive quand la reine a émis un communiqué sec et sans fioritures. «Le duc et la duchesse de Sussex [leur titre officiel] ont confirmé à Sa Majesté la Reine qu’ils ne reviendraient pas en tant que membres actifs [working members] de la famille royale.» Tous les titres militaires de Harry et les patronages d’associations du couple sont retirés. Rompez le ban.
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L’entretien était donc perçu comme une vengeance. Pour la famille royale, c’est le scénario du pire, qui rappelle la fameuse interview accordée par Diana en 1995, quand elle avait déclaré: «Nous étions trois dans ce mariage.»
Meghan révèle que la simple possibilité de parler à Oprah Winfrey est «libératrice». Elle relate une conversation que les deux femmes avaient eue en 2018 sur une possible interview: «Je n’aurais pas pu dire oui à l’époque, ce n’était pas moi qui décidais.»
Le souvenir de Diana
Derrière cette brouille familiale, bien réelle, se trouve aussi le retour de la machine à broyer médiatique britannique. Après la mort de Diana en 1997, les tabloïds avaient promis de s’assagir. Pendant deux décennies, ils ont plus ou moins tenu parole. L’arrivée de Meghan est venue bousculer cet équilibre. Créature d’Hollywood, celle-ci a voulu imposer ses normes, selon lesquelles la presse n’a aucun accès et ne reçoit que des photos et des vidéos réalisées par l’équipe des stars elle-même.
L’an dernier, le couple princier a décidé de sortir du «Royal Rota». Ce système est la seule et unique source d’information de la presse sur la famille royale. A chaque événement, un petit groupe constitué d’un journaliste de la télévision (BBC et ITV à tour de rôle), d’un de la presse écrite et de l’agence Press Association (regroupement des journaux régionaux) a le droit d’être présent. Pas question de poser de questions, mais il est possible de filmer d’assez près et d’avoir vaguement l’impression d’être au premier rang.
La volte-face des tabloïds
A la place, Meghan et Harry ont décidé de gérer directement leurs relations avec la presse. A la naissance de leur bébé, ils ont refusé de le présenter aux photographes, contrairement à William et Kate, préférant diffuser leurs propres photos quelques jours plus tard. La même chose s’est reproduite avec le baptême. Furieuse, la presse tabloïd s’est retournée contre Meghan, qui est passée du rôle de merveilleuse princesse moderne à celui d’ambitieuse intruse. Aujourd’hui, la messe médiatique est dite: une chronique du Times la traite de «Marie-Antoinette», le Daily Express s’insurge contre cette interview «égoïste» et Piers Morgan, présentateur vedette d’ITV, estime qu’elle «mérite un Oscar»: «Le prince Harry et sa femme ont passé deux heures à détruire tout ce que la reine défend […] alors que son mari de 99 ans est sérieusement malade à l’hôpital. C’est méprisable.»
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Une relation toxique à la presse
Le sous-texte de cette guerre de communication est la relation toxique de Harry avec la presse. Celui qui marchait tête baissée derrière le cercueil de sa mère en 1997 hait les journalistes. «Ma principale inquiétude était de voir l’histoire se répéter», a-t-il expliqué à Oprah Winfrey pour expliquer son déménagement en Californie. Harry, qui rêve d’une vie normale, est pourtant obsédé par son image. «Il lit régulièrement les articles qui le concernent et même les commentaires des lecteurs», explique un journaliste qui l’a interviewé.
A cette terreur de l’orphelin s’ajoutent les méthodes californiennes de Meghan. Le couple californien a signé des accords très lucratifs avec Netflix et Spotify. Il avait même déposé la marque «Sussex Royal» avant de renoncer à l’exploiter, du moins pour l’instant. Il est accusé d’hypocrisie, se plaignant de l’intrusion de la presse tout en s’étalant dans des talk-shows américains. La rupture est désormais consommée. Le soap-opéra peut continuer. La presse peut sortir les points d’exclamation: on n’avait pas vu ça depuis une génération!