Moscou opte pour l’escalade dans la guerre de l’information
Russie
Le Ministère de la défense russe crée une division spécialisée dans la propagande et la guerre électronique. Pas en reste, le Ministère des affaires étrangères entend marquer du sceau de la honte les médias étrangers véhiculant des ragots sur la Russie

Dans la lignée de Donald Trump, le Kremlin organise une contre-attaque sans précédent visant les médias occidentaux. Le ministre de la Défense Sergueï Choïgou a révélé mercredi devant les députés russes l’existence d’une «armée pour les opérations d’information». Selon lui, «la création d’une armée pour les opérations d’information sera beaucoup plus efficace et puissante que ne l’était la contre-propagande [soviétique]». Cette division devrait compter un millier de soldats et coûter annuellement au budget fédéral environ 300 millions de francs. Aucune indication n’a été donnée, en revanche, sur sa localisation dans l’organigramme et sur son degré d'autonomie.
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L’expression «opérations d’information», telle qu’elle est formulée par les autorités russes, va au-delà de la propagande et de la contre-propagande. Bien que cela ne soit pas explicitement formulé, ces opérations englobent également la guerre électronique et la cyberguerre. Cette dernière a fait couler beaucoup d’encre récemment, la Russie ayant été accusée d’avoir utilisé des techniques de piratage informatique pour influencer le déroulement de l’élection présidentielle américaine.
Lutte pour «la conscience des masses»
Ces efforts corroborent les thèses formulées dans la dernière mouture de la doctrine militaire, publiée en 2014. L’état-major russe y avait fait de l’information l’axe central de son redéploiement. «La guerre de l’information passe au premier plan. Une lutte se déroule pour l’esprit et la conscience des masses», expliquait mercredi à la presse l’ancien chef d’état-major Iouri Balouïevski. «La victoire dans cette guerre sera peut-être plus décisive qu’une victoire dans une guerre classique. Même sans effusion de sang, une telle victoire provoque un choc démoralisateur et paralysant pour tous les organes de pouvoir de l’adversaire.»
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Sur le front de l’information, l’armée russe a longtemps préféré rester à l’arrière, dans ses casernes. Tout a changé avec l’intervention en Syrie en octobre 2015. Le Ministère de la défense s’est alors mis à bombarder les médias de communiqués. Signés le plus souvent du général major Igor Konochenkov. Leur ton est très hostile envers les officiels occidentaux. Toute accusation de bavure sur les civils est systématiquement niée.
Fermé comme une huître, le ministère s’est mis à organiser régulièrement des «conférences de presse» à sens unique, c’est-à-dire pour délivrer un message sans prendre de question. Très actif sur les réseaux sociaux russes, il publie désormais fréquemment des vidéos de bombardement de «cibles terroristes». Une chaîne de magasins lui appartenant vend des vêtements et des gadgets estampillés «Armée russe» pour populariser davantage la vie militaire.
Un site dédié aux «fausses nouvelles»
Le Ministère de la défense coupe l’herbe sous les pieds de son grand concurrent en matière de propagande. En début de semaine, le Ministère des affaires étrangères avait annoncé la création d’un site dédié aux «fausses nouvelles» répandues par les médias étrangers sur la Russie. Depuis lundi, cinq articles de la presse anglo-saxonne ont ainsi été estampillés en rouge du mot «fake», suivis de la mention laconique: «Cet article met en avant une information ne correspondant pas à la réalité.» Aucune explication ou réfutation n’est apportée.
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Fâchée de sa mauvaise image à l’étranger, la Russie a plusieurs fois changé de stratégie au cours des quinze dernières années. Des millions de dollars ont été déversés sur des groupes de communication comme l’américain Ketchum. Puis, se souvenant de sa solide expérience en matière de propagande remontant à l’époque soviétique, le Kremlin a mis sur pied ses propres organes de communication multilingues (Russia Today et sputniknews.com). Dans un contexte d’escalade permanente, la militarisation de l’information complète logiquement la panoplie russe.