«Djam est morte dans mes bras. Elle était belle. Elle n’avait pas de sang sur le visage.» Une phrase a suffi pour que remonte à la surface l’infinie douleur du 13 novembre 2015 (130 victimes, près de 400 blessés). Le patron de La Belle Equipe, l’un des cafés mitraillés par les commandos d’assassins recrutés par l’Etat islamique, a préféré relire ces mots devant les caméras, tirés d’un livre qu’il a écrit, plutôt que de les dire spontanément. Car à ce moment-là, la nuit d’horreur, on le sent, repasse en boucle dans sa tête. La caméra des frères Naudet, les deux réalisateurs de l’époustouflante série documentaire de Netflix consacrée aux attentats, ne fait plus barrage. Djamila était styliste. Elle se trouvait, ce soir fatal, aux cotés des serveuses dans ce bistrot branché de la rue de Charonne, désormais rouvert et de nouveau plein à craquer. Elle était aussi la mère de Tess, leur fille de 8 ans. Il était 21h07. Le récit, haletant, des rescapés, des pompiers et des policiers, déroule minute par minute le film de la tragédie.

Récit sans commentaires

Jules et Gédéon Naudet avaient crevé l’écran, voici quinze ans, avec New York, 11 septembre, plusieurs fois primé. Leur 13 novembre: Fluctuat nec mergitur est, comme leur film sur les pompiers des deux tours du World Trade Center détruites en 2001 par les avions-suicides d’Al-Qaida, un récit sans commentaires, raconté par les témoins et les survivants. Et tout y est: le bruit des balles tirées une par une, pour achever les clients déjà à terre devant La Belle Equipe; la ruée de deux des trois terroristes du Bataclan au premier étage de la salle de concerts, terrés avec leur dizaine d’otages dans un couloir, le doigt sur le bouton-poussoir de leur gilet explosif. Quelques minutes plus tôt, un policier a tenté l’impossible. Il est rentré seul dans la salle, et a fait feu sur l’un des assaillants. Une infographie montre la progression des spectateurs, de la brigade d’intervention dépêchée sur place (la BRI), et le confinement des otages derrière une porte que la police fera exploser. Pendant que le médecin de la BRI raconte, lui, l’évacuation des survivants, sur des barrières de sécurité transformées en civières.

Ceux qui étaient cette nuit-là dans les rues adjacentes, comme l’auteur de ces lignes, savent combien le chaos régnait. Les deux réalisateurs, grâce à des images jamais vues jusque-là des tueurs, kalachnikovs à la hanche, plongent au cœur de cette panique meurtrière qui s’empara de la capitale française. Vient l’instant où les témoignages se fondent dans le récit. Chacun raconte un moment, son moment. Comme cette otage rescapée, qui se souvient en riant, larmes aux yeux, du «jogging» que portait l’un des tueurs du Bataclan, ou de son incapacité à joindre la chaîne d’information avec laquelle il souhaitait communiquer. Son appel, à partir du portable d’un otage, sonne alors dans le vide. Ou plutôt dans le néant de l’ordinaire nocturne: «Tapez 1 pour avoir l’opératrice, tapez 2…»

Méthode éprouvée

La méthode des frères Naudet est éprouvée. Chaque épisode de leur série documentaire focalise sur un lieu, tandis que le décompte des minutes précises s’affiche entre les images. Pas de bande-son. Juste les sirènes des véhicules de police et de pompiers, et les appels de Parisiens ordinaires aux commissariats. Tous ont accepté de répondre, y compris l’ex-président François Hollande. Des policiers restent cagoulés devant les caméras. Cela fait trois ans bientôt que le pire est advenu, d’abord au stade de France, puis sur les terrasses, puis au Bataclan. Et l’incompréhension demeure la même: comment cela a-t-il été possible? Ces assassins épargnaient les uns et massacraient les autres. Sans logique. Diabolique loterie. «Il est battu par les flots mais ne sombre pas», dit la devise latine de Paris, reprise en titre par les réalisateurs. Le naufrage du 13 novembre a trouvé ses mémorialistes.


«13 novembre: Fluctuat nec mergitur», sur Netflix, par abonnement.