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Nord Stream, une source vitale de gaz pour l’Europe, reprend du service

Après dix jours de maintenance, la Russie a rouvert le robinet du gaz vers l’Europe en redémarrant jeudi matin Nord Stream. Ce gazoduc, dont dépend la sécurité énergétique de l’Europe, est emblématique de la dépendance européenne, en particulier allemande, aux matières premières de Moscou

Le gazoduc Nord Stream, photographié en Allemagne, à Lubmin, près de la mer Baltique.  — © HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS
Le gazoduc Nord Stream, photographié en Allemagne, à Lubmin, près de la mer Baltique. — © HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

«Il fonctionne.» Jeudi, il est un peu plus de 4h du matin lorsque l'Europe (et surtout l’Allemagne) respirent à nouveau. Le gazoduc Nord Stream, qui achemine environ un tiers des 153 milliards de m3 de gaz achetés annuellement par l’UE reprend du service après dix jours de maintenance annuelle. Dans un contexte particulièrement tendu de la guerre en Ukraine et du bras de fer entre Moscou et les Occidentaux sur l’énergie, cette liaison directe entre les champs gaziers sibériens et le nord de l’Allemagne – d’où le gaz est ensuite exporté à d’autres pays européens – reste toutefois menacée. L’Europe se prépare à une pénurie de gaz cet hiver et à ce que l’énergéticien Gazprom, propriétaire du gazoduc, coupe le robinet pour de bon.

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1. Nord Stream, c’est quoi?

Ce gazoduc est au coeur de la confrontation entre Européens et Russes depuis le début de la guerre en Ukraine. Long de 1224 kilomètres et d’une capacité totale de 55,5 milliards de m3 par an, Nord Stream relie la Russie au nord de l’Allemagne, via deux conduites passant sous la mer Baltique. En 2021, environ 40% des exportations de gaz russe vers l’Union européenne passaient par Nord Stream.

Opérationnel depuis 2011, il appartient au russe Gazprom, qui en détient 51% des parts. Des énergéticiens européens dont Eon, Wintershall, Gasunie et le français Engie se partagent le reste du capital.

2. Pourquoi l’Allemagne est-elle si dépendante du gaz russe?

Remontons l’histoire. En pleine guerre froide, l’URSS décide d’exploiter ses immenses ressources pétrolières et gazières et, en Europe, l’Allemagne fabrique les tuyaux de grand diamètre dont a besoin Moscou. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, Washington voit d’un mauvais œil se développer le secteur des hydrocarbures russes et parvient à imposer un embargo sur les exportations de tuyaux allemands.

Il faudra attendre 1966 et la levée de cet embargo pour qu’un accord historique voie le jour entre l’URSS et l’Allemagne: le protocole «Tuyaux contre gaz» est signé en 1970. Trois ans plus tard, l’Allemagne de l’Ouest reçoit ses premières livraisons de brut sibérien. Les importations augmentent et, au moment de la chute du mur de Berlin en 1989, l’Union soviétique représente environ la moitié des importations de gaz d’Allemagne de l’Ouest.

Ces bonnes relations permettent à l’Allemagne d’acheter le gaz russe à des prix très favorables, donnant un avantage compétitif majeur à l’industrie allemande. D’autant que de nombreux responsables politiques allemands, à l’instar de l’ancien chancelierGerhard Schröder, encouragent le développement des liens commerciaux avec la Russie.

La conservatrice Angela Merkel garde la même ligne. Elle reconnaîtra à la fin de son mandat que le maintien de relations commerciales étroites avec Moscou était «dans l’intérêt» de l’Allemagne.

En 2011, la décision brutale d’engager l’Allemagne dans la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima, suivie par la décision d’éliminer progressivement le charbon, ne laisse guère le choix au pays. En attendant que les énergies renouvelables se développent, le gaz doit assurer la transition.

Aveuglement, naïveté, intérêts économiques: les critiques fusent désormais sur le piège énergétique dans lequel s’est enfermé le pays qui s’est donné jusqu’à mi-2024 pour s’émanciper du gaz russe, lequel représente encore 35% de ses importations.

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3. Quelle quantité de gaz va-t-il en sortir?

Malgré son redémarrage, l’incertitude demeure sur les quantités acheminées via cette conduite indispensable pour éviter une crise énergétique cet hiver. Aucune donnée n’est encore disponible sur les volumes de gaz envoyés dans le gazoduc jeudi. Ils devraient être connus plus tard dans la journée.

Selon des données transmises par Gazprom à Gascade, l’opérateur allemand du réseau, le pipeline devrait livrer 530 GWh durant la journée. Ce serait seulement «30%» de ses capacités, selon le patron de l’Agence allemande des réseaux, Klaus Müller. Il s’agirait en outre de dix points de moins qu’avant les travaux.

Arguant de l’absence d’une turbine en maintenance au Canada, Gazprom a déjà réduit à 40% des capacités les livraisons via Nord Stream depuis mi-juin.

Lire aussi: Nicolas Mazzucchi: «Maintenir un canal énergétique, c’est aussi maintenir un canal de négociation»

4. Doit-on s’attendre à une pénurie de gaz cet hiver?

Même un redémarrage à 40% de la capacité serait insuffisant pour garantir l’approvisionnement des particuliers et des entreprises durant tout l’hiver.

Nord Stream achemine environ un tiers des 153 milliards de m3 de gaz achetés annuellement par l’UE. Or, Vladimir Poutine a laissé entendre cette semaine que le gazoduc pourrait ne fonctionner qu’à 20% de sa capacité dès la semaine prochaine. La faute, selon le président russe, à des turbines défaillantes qui équipent le pipeline.

En Europe, outre les pénuries à craindre, l’explosion du coût de l’énergie se fait déjà sentir et menace de récession les économies occidentales qui se remettent à peine de la pandémie de Covid-19.

Les particuliers «seront choqués lorsqu’ils recevront un courrier de leur fournisseur d’énergie» avec un triplement voire un quadruplement de la facture à la clé, a alerté Klaus Müller, président de l’Agence fédérale des réseaux allemand, pour presser la population a réduire sa consommation.

L’urgence est déjà là pour le premier stockeur de gaz en Allemagne, et à ce titre plus gros client de Gazprom: le groupe énergétique Uniper risque la faillite s’il ne reçoit pas à très court terme une aide de l’Etat.

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5. Les turbines du pipeline, un nouvel instrument de pression sur les Occidentaux?

Selon Vladimir Poutine, les turbines défaillantes du pipeline l’empêchent de tourner à plein régime.

Une première de ces turbines, qui alimentent les stations de compression, vient de faire l’objet d’une réparation au Canada dans les usines du groupe allemand Siemens. Elle est encore en cours d’acheminement vers la Russie.

Or une seconde turbine doit, selon Vladimir Poutine, partir en maintenance la semaine prochaine, susceptible de diviser encore les livraisons par deux.

Les décisions de Gazprom sur les livraisons de gaz sont depuis le début jugées «politiques» par le gouvernement allemand, qui ne cesse d’accuser la Russie d’invoquer des problèmes de turbines comme «prétexte».

Une peinture montre le chemin de la pipeline Nord Stream sous la mer Baltique, à Lubmin, en Allemagne, le mercredi 20 juillet 2022. — © Markus Schreiber / keystone-sda.ch
Une peinture montre le chemin de la pipeline Nord Stream sous la mer Baltique, à Lubmin, en Allemagne, le mercredi 20 juillet 2022. — © Markus Schreiber / keystone-sda.ch

6. Quid de Nord Stream 2?

En 2015, Angela Merkel décide de lancer avec la Russie le projet de gazoduc Nord Stream 2, jumeau de Nord Stream 1, pour doubler la capacité des flux de gaz russe vers l’Allemagne. L’objectif? Attendre que les énergies renouvelables se développent en se reposant principalement sur le gaz russe.

Ce projet pharaonique vaut à Berlin des années de tensions avec Washington qui reproche à son allié d’accroître l’emprise énergétique de Vladimir Poutine. L’Allemagne a fini par renoncer à la mise en service de gazoduc, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine.