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Nos lecteurs et Notre-Dame: «Soudain, mon grand-père se tait, et nous faisons face à cette magnifique rosace»

La cathédrale Notre-Dame de Paris qui s’embrase: l’événement a marqué les lecteurs du «Temps». Ils racontent leur lien avec ce monument historique, leur émotion au moment de l’incendie

La rosace de Notre-Dame, prise ici en novembre 2012. — © AFP
La rosace de Notre-Dame, prise ici en novembre 2012. — © AFP

Claire Duquenoy: «Une petite madeleine de Proust»

Enseignante dans le canton de Vaud, la Française Claire Duquenoy livre un témoignage émouvant sur la cathédrale Notre-Dame. Le monument historique est la clé de voûte de son existence, un lien entre les générations d’une même famille. Nous avons décidé de publier son texte en intégralité.

On est en 1992, j’ai 13 ans. Pour me faire plaisir et parce que je n’y suis jamais allée, mes grands-parents décident de m’emmener à Paris. A Besançon, avec mon grand-père, on prépare notre voyage et il me parle de Notre-Dame de Paris: Victor Hugo, Quasimodo, Esmeralda, la rosace, la «forêt de chênes» qu’il a fallu abattre pour construire cette cathédrale quasi millénaire… tout y passe, mais je sens bien que mon grand-père a très envie d’aller explorer la charpente, à la recherche du «Bourdon», Emmanuel, ainsi que des autres cloches.

Il fait un peu frais mais beau ce jour où j’arrive sur le parvis de la cathédrale, très impressionnée par les deux grandes tours, mais aussi par les touristes qui sont si nombreux. Je me souviens de la fraîcheur ressentie en entrant dans cet édifice imposant, l’obscurité soudaine, le silence. J’aime d’emblée cet endroit mythique. On fait la visite, mon grand-père protestant saupoudre ses explications littéraires, religieuses et historiques de quelques taquineries pour faire bisquer ma grand-mère catholique, j’adore. Et puis soudain, mon grand-père se tait, et nous faisons face à cette gigantesque et magnifique rosace.

Avec les rayons du soleil qui nous parviennent au travers, le spectacle est de toute beauté. On se pose, silencieux, on profite de l’instant. Nous monterons ensuite dans les tours, nous emprunterons ces petits escaliers de bois pour aller voir Emmanuel. Je verrai mon grand-père devant moi, avaler les marches comme un gamin qui se presse pour aller ouvrir ses cadeaux de Noël. Toute la charpente est impressionnante, je comprends mieux pourquoi on parle d’une «forêt». Je caresse du bout des doigts des poutres pluricentenaires, c’est très émouvant. Emouvant aussi de tenter de s’imaginer, du haut de ses 13 ans, le travail titanesque que ça a demandé aux hommes de l’époque de bâtir une telle cathédrale.

On est en 2002, j’ai 23 ans. Je viens à peine de finir mes études et je sillonne les rues de Paris avec mon bébé dans sa poussette. On vient de s’installer à Asnières et je profite des beaux jours pour me promener dans la capitale avec ma petite Louise. Elle n’aime pas spécialement la chaleur, et j’ai bien envie de retourner à Notre-Dame pour m’offrir une petite madeleine de Proust tout en lui offrant un peu de fraîcheur. Rien ou presque n’a changé en dix ans. J’appelle mon grand-père depuis le parvis pour lui dire que je l’ai juste sous les yeux, qu’elle est toujours aussi belle, aussi majestueuse et qu’il y a toujours autant de touristes! Comme je m’occupais de mon bébé dans l’année qui a suivi, j’y reviendrai souvent, quelle que soit la saison. C’est comme la vue qu’on a du Léman, des Alpes et du Mont-Blanc, en descendant depuis Saint-George: la beauté est telle qu’on ne s’en lasse jamais. Au fil des mois, je reviendrai souvent à Notre-Dame, je contemplerai la rosace, mais bébé/poussette oblige, je ne grimperai pas voir les cloches.

On est en 2007, j’ai 28 ans. Je ne suis pas revenue à Paris depuis plusieurs années, depuis notre déménagement en fait. J’ai un petit week-end de prévu avec des amis là-bas, donc pas vraiment le temps pour du tourisme, mais avant de reprendre mon train le dimanche, je sais que je passerai à Notre-Dame. Je n’ai pas beaucoup de temps, alors je resterai sur le parvis et je me contenterai de me souvenir de mes grands-parents, de mes excursions en poussette…

On est en 2019, j’ai 40 ans, j’habite sur La Côte depuis bientôt cinq ans et ce soir mon cœur se serre en voyant les images à la télévision. Voir la flèche tomber dans les flammes est d’une tristesse infinie, et j’ai du mal à me concentrer sur les commentaires. J’ai peur pour les pompiers sur place aussi. Ce soir, je fais partie de ces milliers de personnes qui ont chacune des souvenirs liés à cet endroit si singulier. Mon grand-père n’est plus là depuis un bail, et Louise, qui vient d’avoir 17 ans, est maintenant au Gymnase de Nyon. C’est vraiment la tristesse qui domine ce soir: la perte d’une grande partie d’un monument rare doublée de l’impossibilité d’y amener un jour mes trois filles pour qu’elles la voient comme mes grands-parents et moi l’avons connue.

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Julie Michel: «Les yeux remplis de larmes»

Originaire de Sion, Julie Michel raconte un séjour à Paris chargé d’émotions. Elle était adolescente et venait d’apprendre une terrible nouvelle.

Ma première visite à Paris remonte à mes 15 ou 16 ans. Un soir, la mauvaise nouvelle tombe. Un ami proche de mes parents, atteint d’une tumeur cérébrale, vient de décéder. Nous avions prévu de visiter Notre-Dame le lendemain. Nous nous y rendons dans la matinée et je suis d’abord impressionnée par la façade et le parvis. A la seconde où j’entre dans l’édifice, je suis bouleversée tant par la beauté qui m’entoure que par les émotions qui m’envahissent. Je regarde ma mère et nous avons toutes deux les yeux remplis de larmes. Nous avions allumé une bougie avant de nous recueillir dans ce lieu si symbolique.

Aujourd’hui, devant ma télévision, je suis sous le choc, sidérée. Je repense à toute cette beauté, ces richesses culturelles, ce patrimoine. Et je pleure…

Ronysson Gillieron: «Une déesse qui s’effondre»

Il a quitté Martigny pour vivre à Paris. Ronysson Gillieron est installé dans la capitale française depuis un an. Il raconte sa soirée au chevet de Notre-Dame.

Je sortais de la bibliothèque de Pompidou lorsque nous avons vu, avec ma compagne, cet énorme nuage de fumée jaune et blanc. Nous recevons en même temps la notification que Notre-Dame est en feu. Nous nous dépêchons et lorsque nous arrivons dans la rue qui donne sur le monument, nous voyons cet énorme feu… Une émotion incroyable nous submerge à ce moment-là. Plus de 200 personnes sont déjà présentes dans la rue. Nous essayons tant bien que mal de nous rapprocher. Pour pouvoir admirer Notre-Dame, une déesse qui s’effondre sous nos yeux.

Nous prenons une première photo quelques secondes avant la chute de la flèche. Le seul moment où les centaines de personnes présentes sur le parvis de l’Hôtel de Ville ont émis un bruit. Un cri d’effroi… C’est une triste soirée à Paris. Un rassemblement de tout un pays. Une tristesse mondiale. Nous avons eu la chance de lui dire adieu. La voir une dernière fois. Comme pour lui dire je t’aime. Nous sommes forts et cette ville est belle. La cathédrale faisait partie du patrimoine de Paris et de la France. Elle le sera à jamais.

Christian Georges: «Un pressentiment?»

Le Chaux-de-Fonnier Christian Georges raconte un bref moment près de la cathédrale, avant un retour en Suisse.

Ce qui se joue ce soir est impensable. Je reste scotché devant mon poste de télévision comme au soir du 11 septembre 2001. L’incrédulité est la même qu’au soir de l’attentat du Bataclan.

J’étais à Paris le 24 mars dernier. Au risque de manquer le train du retour, j’ai choisi de sortir du métro au Pont-Neuf, puis de poursuivre à pied jusqu’à Notre-Dame. Pour aller la saluer et la prendre en photo, comme on va poser sa main sur le tronc de l’arbre multiséculaire lors d’une balade en forêt. Un pressentiment?

Marie Carmen Josefovski: «Une histoire de baptême»

Installée à Thônex, Marie Carmen Josefovski partage une histoire familiale, une qui perdure dans le temps.

Mes grands parents étaient Catalans, de Barcelone. Dans les années 1920, ils ont sillonné l’Europe. Mon grand père était compositeur et avait un petit orchestre avec lequel il allait de cabaret en cabaret. Monte-Carlo, Genève, Berlin,... Mon oncle est né à Oslo et a été baptisé à Notre-Dame de Paris en 1928. Cette histoire de baptême dans un tel lieu a toujours suscité l’admiration de la famille.

Claire Muller: «Un goût d’éternité»

Un souvenir personnel lié à Notre-Dame de Paris: un concert nocturne de musique sacrée en octobre 2017 avec mes enfants endormis sur mes genoux… Pour moi, ça avait un goût d’éternité.