Comment éviter que des appels à la haine formulés de l’étranger par des groupuscules islamistes violents n’entraînent le passage à l’acte inattendu, à l’arme blanche, de la part de jeunes musulmans français ou migrants déracinés et accueillis en France? Cette interrogation résume le débat relancé dans l’Hexagone par l’attaque au hachoir, vendredi vers 11h30, commise à proximité des anciens locaux parisiens de Charlie Hebdo par un jeune migrant pakistanais de 18 ans arrivé en France trois ans plus tôt comme «mineur isolé».

La loi française impose de prendre en charge les mineurs migrants isolés jusqu’à leur majorité, après un placement auprès de l’Aide sociale à l’enfance. Dans le cas d’Ali H., dont l’âge réel était contesté par l’administration du département du Val-d’Oise où il vivait, une décision de justice avait, en juillet 2019, confirmé son droit à bénéficier des prestations et de l’encadrement réservés aux mineurs. Le fait qu’il parle peu français et qu’il ne présentait pas de signes de radicalisation (il n’était pas fiché) a été depuis confirmé par la police. La plupart des migrants originaires du Pakistan - pays dont les ressortissants sont peu élligibles au regard du droit d'asile - affirment venir d'Afghanistan, premier pays en nombre de demandeurs selon l'OFPRA, l'Office français des réfugiés et apatrides.

Notre suivi de la journée, vendredi 25 septembre

Deux blessés

Interpellé moins d’une demi-heure après son forfait près des marches de l’Opéra Bastille, à quelques centaines de mètres du lieu où il venait de blesser deux personnes rue Nicolas-Appert, le jeune pakistanais a «assumé son acte», attribuant sa colère meurtrière à la republication des caricatures du prophète Mahomet par l’hebdomadaire satirique le 2 septembre, jour de l’ouverture du procès en cours de 14 complices présumés des auteurs des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Il n'a pas, en revanche, diffusé de vidéo d'allégeance à l'Etat islamique ou Al Qaïda, ni formulé une telle revendication depuis le début de sa garde à vue. Les deux nébuleuses islamistes n'ont pas non plus, jusque-là, revendiqué son acte. Une différence majeure avec d'autres attentats selon l'ex juge antiterroriste Marc Trévidic: «Un acte revendiqué témoigne d'une organisation, d'une anticipation. Nous sommes là dans un autre registre». Le jeune homme avait en revanche été dans le passé interpellé avec un tournevis dans sa poche, en juin dernier, par la brigade des réseaux ferrés.

Dans la foulée de cette reparution des dessins – initialement publiés en juillet 2006 – des milliers de personnes mobilisées par des groupes islamistes radicaux avaient, au Pakistan, manifesté et appelé à s’en prendre au journal. Le dessinateur Riss, directeur de la publication de Charlie Hebdo et rescapé du massacre du 7 janvier 2015, avait par ailleurs fait l’objet de menaces de mort il y a trois ans de la part d’un ancien ministre pakistanais, ce dernier allant jusqu’à promettre 200 000 dollars de prime au futur meurtrier et une compensation financière aux familles de Chérif et Saïd Kouachi, les terroristes responsables de la tuerie de janvier 2015, abattus par les forces de l’ordre le 9 janvier, tout comme Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher.

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Erreur sur l’endroit

Le jeune Pakistanais pensait, vendredi, s’en prendre aux locaux de Charlie Hebdo, en réalité déplacés depuis et placés sous haute protection. Ses deux victimes – dont les jours ne sont pas en danger – sont des collaborateurs d’une société de production située à proximité dont les employés avaient, déjà, été les témoins de l’attentat de 2015. La rue Nicolas-Appert – où une plaque commémorative a été apposée dès janvier 2016 au numéro 10, ex-adresse de la rédaction de Charlie Hebdo – n’était, depuis lors, pas protégée. Une fresque représentant les visages des 12 morts du 7 janvier illustre aussi ces lieux symboles.

C’est devant cette fresque murale que la première victime d’Ali H. a été agressée. Tragique coïncidence: les deux ex-épouses des frères Kouachi comparaissaient devant le Tribunal de Paris, vendredi, à l’heure de l’attaque. L’une et l’autre ont nié catégoriquement avoir pu anticiper le passage à l’acte de leurs époux, radicalisés au début des années 2000 lors de leur fréquentation de mosquées salafistes parisiennes, puis à la suite du séjour au Yémen de Chérif Kouachi en 2011, sans convaincre les avocats des parties civiles.

Deux jours après l’attaque, la question de la riposte politique, administrative et sécuritaire française est donc de nouveau posée, illustrée par l’offensive de l’ancien premier ministre socialiste Manuel Valls – au pouvoir en 2015 – selon lequel le vrai sujet est «plus que jamais la bataille contre l’islamisme». Deux autres personnes ont été interpellées depuis l’attaque de vendredi et les derniers domiciles du suspect ont été perquisitionnés vendredi.

Une terrible méprise

Mais, preuve de la complexité du sujet, un autre individu arrêté dans la foulée de l’attaque a, lui, été relâché après avoir été identifié, non comme un complice, mais comme un passant qui, après avoir tenté de venir en aide aux victimes, a pris en chasse le meurtrier d’abord entré dans le métro après son forfait. Cet homme, Algérien titulaire d’une carte de séjour, s’est retrouvé pris dans la tourmente, cité par les médias comme un possible coauteur de l’attaque alors qu’il courrait au contraire derrière le jeune Pakistanais.

Huit autres personnes ont, jusque-là, été placées en garde à vue: le petit frère du suspect, une connaissance et six hommes qui résidaient dans les mêmes logements sociaux que lui. Et les questions habituelles de resurgir: «loup solitaire» radicalisé via internet, jeune migrant pris dans l’engrenage des milieux islamistes radicaux infiltrés, individu psychologiquement fragile?

Le défi conjoint de la prise en charge des jeunes migrants et du repérage de la radicalisation islamiste précoce est posé, à une semaine de l’annonce par Emmanuel Macron du nouveau projet de loi de lutte contre les «séparatismes», un terme largement utilisé pour dénoncer la lutte contre l’islamisme. A la mi-février, à Mulhouse, juste avant le début du confinement, le président français avait prononcé un discours virulent contre l’influence de certains imams étrangers et affirmé sa volonté de fermer les mosquées connues comme foyers de radicalisation. Problème: l’assaillant de la rue Nicolas-Appert ne semble pas du tout avoir suivi ce chemin des filières islamistes connues et repérées.