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Notre correspondant à Paris, Richard Werly, a discuté ce lundi avec vous par caméras interposées pour respecter les mesures sanitaires. Une conférence sur l’état de la France après avoir sillonné ce pays, au plus près de la lutte contre la pandémie

«Pour bien commencer cette conférence, je devrais vous accueillir avec un masque», a lancé Richard Werly, avant de couvrir son visage d’un morceau d’étoffe devant une audience amusée. Lors de cette discussion avec une cinquantaine de lecteurs, notre correspondant à Paris ne risquait pas de transmettre le nouveau coronavirus. La conférence s’est déroulée ce lundi par caméras interposées. Une première pour notre journal, habitué à recevoir du public dans ses locaux.
La débrouillardise des Français
La distance n’a pas détérioré la qualité de l’échange sur l’état de la France. Notre journaliste avait à cœur de partager son expérience de terrain. Du 17 mars au 11 mai, il a sillonné le pays pour prendre la pleine mesure de la crise sanitaire. Un choix assumé. «La rédaction se mettait au télétravail mais on a considéré qu’il était toujours possible de raconter ce qu’il se passait. La preuve: malgré tous les reportages réalisés, je n’ai pas contracté le Covid-19», a-t-il souligné. Au cours de son périple, du Grand Est à la Bretagne, il a croisé des Français combatifs, désespérés, râleurs mais aussi extraordinairement solidaires. «J’ai été marqué par la débrouillardise et le sens des responsabilités des Français.»
A Roubaix, ancien haut lieu de l’industrie textile, des liens se tissent pour parer à l’urgence. «Dans un atelier familial, j’ai vu naître l’espoir de relancer certaines filatures avec la nécessité de fabriquer des masques. Au cœur de la crise, c’était particulièrement touchant.» Par son caractère exceptionnel, la situation a également révélé les travers de notre grand voisin. Le 16 mars, lors d’une allocution télévisée, le président Emmanuel Macron a adopté un ton martial pour annoncer le début du confinement. «Nous sommes en guerre», a-t-il martelé. Pour notre correspondant, l’emploi d’une telle formule relève de l’erreur de communication. «Si vous parlez d’une guerre, la population s’attend à des combats, du matériel et des ravitaillements. Or, la crise a été marquée par une pénurie de masques, ce qui s’apparente à une débâcle dans cet univers martial. Il n’aurait pas dû employer ce terme.»
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Un millefeuille administratif
A l’écoute, les participants n’ont pas hésité à poser des questions, tout en évitant le chaos sonore. «Merci de couper vos micros!» a alerté une lectrice dans la messagerie de la visioconférence. Un appel entendu: les nombreuses interpellations sont arrivées sous la forme de courts textes. «La décentralisation à la française a été jusqu’à présent marquée par l’empilage des couches de bureaucratie, comment l’éviter à l’avenir?» s’est interrogé un lecteur. Notre correspondant constate que le millefeuille administratif, sempiternel sujet de débat en France, s’est allégé à la faveur de la crise. «On a vu le squelette de la France. Cette crise sanitaire a montré qu’une saine décentralisation était nécessaire. Quand l’Etat central ne cherche pas à s’occuper de tout à la place des autorités locales, cela fonctionne.»
Un participant a souligné la différence de traitement entre la province et les grandes villes pendant le confinement. Une observation confirmée par Richard Werly: «La pression policière était moindre dans les campagnes. J’ai croisé peu de barrages. Alors que dans les villes, le verrouillage sécuritaire était plus dur à vivre pour les habitants. A Paris, sans l’attestation, on avait le sentiment d’être en danger.» Une atmosphère étrange s’est installée dans cette France figée. Sa déambulation nocturne dans les rues désertes de Colmar en témoigne: «Si j’avais vu Batman surgir, je n’aurais pas été surpris.»
Trois raisons d’espérer
Comment la France peut-elle sortir de ce tunnel? Notre journaliste prône une culture de l’apaisement. «Il faut se méfier de l’union nationale qui tendrait à affaiblir le débat démocratique. Je parlerais plutôt de compromis national.» Un participant s’inquiète d’une possible résurgence contestataire. «Le risque est réel, mais tout dépend de la capacité du gouvernement à maintenir un rapport de confiance. Il faut une initiative forte pour que les Français aient la sensation de revenir dans le jeu démocratique.»
En guise de conclusion, Richard Werly a listé trois raisons d’espérer: les institutions françaises restent solides, y compris dans des temps de crise et malgré des erreurs stratégiques. Une créativité féconde a souvent été la réponse des citoyens. La France garde un savoir-faire médical. Cet échange s’est terminé avec une formule qui résume bien notre voisin: «La France peut vivre avec le virus, mais elle a parfois de la difficulté à vivre avec elle-même.»
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