Réélu à 89%
Quels que soient ses propos empreints d’«humilité», Pablo Iglesias est l’indiscutable vainqueur de ce Congrès: il est réélu à 89% comme secrétaire général, obtient 37 membres dans le «Conseil citoyen étatique», l’organe directeur de la formation, contre 23 pour Errejon. «En clair, Iglesias a gagné son pari, en emportant un plébiscite. Il va contrôler tout le parti, réagit Ignacio Escolar, rédacteur en chef d’eldiario.es. Mais désormais, il a une tâche énorme: après les ravages de cette guerre intestine, il va devoir restaurer la cohésion entre les différents courants, sans quoi le parti risque de sombrer, voire de se scinder». Dimanche, pendant le Congrès, dans les immenses arènes de Vistalegre, les quelque 12 000 militants ont montré qu’ils en ont pleinement conscience, ne cessant de scander: «Unidad-Unidad» -unité, unité. Comme s’ils pressentaient la possibilité d’une désagrégation d’un parti qui a d’ores et déjà révolutionné l’échiquier politique espagnol. Et qui concentre l’essentiel de l’indignation citoyenne, un sentiment qui, dans le reste de l’Europe, s’exprime surtout via l’extrême droite.
Durant tout le week-end, dans ces arènes pavoisées pour l’occasion de gigantesques étoffes mauves, la couleur de Podemos, le thème unitaire a été le leitmotiv. Grande et brune, Elena Guttierez, 18 ans, fait partie du demi-millier de volontaires. Cette boursière étudie science-politique à l’université madrilène de la Complutense: «Pour moi, Podemos, c’est l’espérance. Pour moi et tous les gens humbles. Je suis bien consciente des rivalités, des luttes, des ambitions personnelles. Mais je sais aussi qu’on n’a pas d’autre choix que de rester ensemble pour avoir des chances de diriger un jour le pays». José Maria Marin, 48 ans, technicien en arts de la scène, se montre optimiste: «Nous sommes un parti jeune qui a grandi vite, trop vite. Alors, bien sûr, nous tombons dans le piège des ego et des impatiences». Une référence aux insultes échangées récemment entre les «pro-Iglesias» et les «pro-Errejon» sur les réseaux sociaux, territoire où Podemos règne en maître, un monopole qui a contribué à ringardiser les deux partis classiques, socialistes et conservateurs, au pouvoir depuis décembre.
Le peuple et les institutions
Etre proche du peuple ou gagner du pouvoir dans les institutions, c’est cette dialectique qui survole tous les discours et débats. «Pour moi, en plus d’un combat entre deux hommes, la division entre Pablo et Iñigo tient à ce dilemme», confie Saraï Martinez, élue municipale à Mataro, bourgade proche de Barcelone. «Ce grand écart entre la rue et l’institution est difficile à maintenir». Les immenses arènes de Vistalegre, bordées de boutiques commerciales, semblaient héberger ce week-end une sorte de corrida politique. Certains d’ailleurs l’ont bien compris: à l’entrée, un dessin en couleur représente Iglesias sous la forme d’un matador, alors que Errejon, lui aussi en habits de lumière, s’apprête à lui couper sa queue-de-cheval. «Ils se trompent, commente Carmen, une retraitée. Sans ce duo complémentaire, le parti ne tiendra pas longtemps. Iglesias serait mal inspiré maintenant de pratiquer une purge contre les fidèles d’Errejon».
Venus d’une bourgade des Pyrénées aragonaises, Carlos et José Maria se sont isolés de la foule. Ces éleveurs vétérinaires craignent le pire pour leur formation: «Ils parlent de nouvelle politique, mais ils s’étripent comme les politiciens à l’ancienne, se désole José Maria. Nous, on n’avait jamais été en politique, nous soutenons Podemos pour qu’il serve de résonance à notre voix, jamais écoutée. Si le parti s’affaiblit, nous avons tout à perdre». Pendant ce temps, le chef du gouvernement, le conservateur Mariano Rajoy, se frotte les mains: ce même week-end, le 18e congrès national de sa formation a renforcé son leadership, et conforté l’absence de contestation interne. Il peut en outre se réjouir d’un parti socialiste moribond… et d’un Podemos déchiré.