L’Europe s’est-elle remise de la crise migratoire de 2015? A voir les résistances qui ont émergé ces dernières semaines contre l’adoption du Pacte mondial de l’ONU sur les migrations, qui doit être formellement adopté à Marrakech le 11 décembre, il est permis d’en douter. Le pacte suscite un déferlement de propos haineux, voire complotistes. A l’ONU, on enregistre avec incompréhension, voire avec une once de panique, les critiques virulentes qui font florès, surtout en Europe. Le pacte est-il devenu un monstre qu’on ne contrôlerait plus? Sur les 191 pays qui avaient accepté l’accord sur un tel pacte à New York en juillet dernier, seuls deux tiers disent désormais vouloir se rendre au Maroc. Les volte-face se multiplient.

A propos du climat en Suisse, où le parlement va aborder le pacte.

Libre circulation mondiale

Mercredi, en Belgique, le premier ministre, Charles Michel, a évité de peu une possible chute de son gouvernement. Au sein de la coalition gouvernementale, le parti flamand N-VA s’oppose avec véhémence au pacte. Le parlement belge a finalement apporté son soutien au premier ministre. Le mouvement des «gilets jaunes» en France, qui est aussi divers que peu structuré, est également happé par la vague anti-pacte. Sur Facebook, des «gilets jaunes» disent vouloir empêcher le président Emmanuel Macron de se rendre à Marrakech. Selon eux, le pacte va créer «un chaos total» et permettra à quelque 900 000 migrants (voire 4 millions d’entre eux selon certains) d’entrer en France.

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Ils réclament la destitution du chef de l’Elysée. A l’image de l’UDC en Suisse, qui estime à tort que l’adoption du pacte équivaudrait à instaurer une libre circulation mondiale des personnes, les républicains et le Rassemblement national de Marine Le Pen en France soufflent aussi sur les braises. Ce samedi, cette dernière participera à Bruxelles à un meeting du parti nationaliste flamand Vlaams Belang en compagnie de Steve Bannon, l’ex-chef stratège de Donald Trump et héraut du souverainisme.

Un pacte épouvantail de la globalisation

Des «gilets jaunes» allemands réunis sous la bannière du mouvement Pegida à Berlin ont véhiculé le même type de message, exigeant la démission de la chancelière Angela Merkel, laquelle s’était distinguée en autorisant l’arrivée sur sol allemand d’un million de migrants de Syrie en 2015. L’onde de choc ne s’arrête pas là. Si Budapest a tout de suite exprimé son opposition au pacte onusien, d’autres pays de l’Europe de l’Est et du centre ont suivi: la Bulgarie, la Pologne, la République tchèque et l’Autriche. En Slovaquie, le ministre des Affaires étrangères, qui soutenait le pacte, a démissionné face au refus de son gouvernement.

En Italie, le ministre de l’Intérieur et chef de file du parti d’extrême droite de la Lega, Matteo Salvini, a été catégorique: «Le gouvernement italien, comme les Suisses qui ont porté à bout de bras le pacte avant de faire marche arrière, ne signera rien et n’ira pas à Marrakech. C’est le parlement qui devra en débattre.» Le pacte est devenu une sorte d’épouvantail de la globalisation dont se sont saisis les mouvements populistes et extrémistes. La bataille symbolise celle qui oppose désormais violemment les élites globalisées et les populations qui estiment subir la mondialisation.

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Aux Etats-Unis, l’opposition de l’administration de Donald Trump n’est pas surprenante tant sa politique migratoire ultra-restrictive est le moyen de cimenter une base électorale remontée contre ce que le président appelle le «globalisme». L’Australie, Israël mettent aussi les pieds au mur. Même la République dominicaine s’est ralliée au camp du refus, craignant que les centaines de Haïtiens tentant chaque jour de franchir la frontière puissent venir s’établir sans problème dans le pays.

Souveraineté intacte

Ce pacte, juridiquement non contraignant, ne touche pas à la souveraineté des Etats. Il ne contraint aucun pays à modifier sa politique migratoire, aussi dure soit-elle. Sert-il dès lors à quelque chose? Il remplit un vide. Aucun cadre n’existait pour améliorer la coordination internationale du phénomène global de la migration. Avec ses 23 objectifs, il vise à encourager les potentiels migrants à rester dans leur pays d’origine en traitant au mieux les problèmes structurels qui les poussent à partir. Il prévoit une feuille de route que les Etats peuvent utiliser ou non pour gérer les 260 millions de migrants qui se déplacent chaque année. Il veut améliorer les voies de migration régulières.

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Face à cette rébellion inattendue, la haut-commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré hier à Genève: «Certains responsables politiques n’agissent pas en leaders. Ils suivent les sondages.» Directeur de l’Organisation internationale pour les migrations, le Portugais Antonio Vitorino exprime lui aussi son courroux: «Nous assistons de la part de certains secteurs politiques à la manipulation, à la distorsion des objectifs du pacte. On a la sensation que la migration est devenue le bouc émissaire des problèmes culturels et sociaux.»