Il vient de boucler la première étape. Le 28 septembre, le délégué interministériel Pascal Lamy a remis le dossier de candidature de Paris-Saclay pour l'Exposition universelle 2025. L'ancien commissaire européen et ex patron de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) est aux manettes de ce projet ambitieux qui, s'il se réalise, verra la capitale française accueillir de nouveau le monde entier, un an après les Jeux olympiques d'été 2024.

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Une candidature placée sous le signe de l'Europe dont l'intéressé, comme président émérite de l'Institut Jacques Delors, reste une des têtes pensantes. Il livre, pour Le Temps, son jugement sur la France d'Emmanuel Macron et sur les chances de réussite des ambitions communautaires affichées par l'Elysée. 

Le Temps: Accueillir l'Exposition universelle 2025 à Paris, c'est un défi pour la France ?

Nous avons franchi vendredi dernier la troisième étape, après la lettre de candidature signée par François Hollande en novembre 2016 et le choix du site de Paris-Saclay en juillet 2017: celle du dossier technique, que nous avons soumis au Bureau International des Expositions. Paris a comme adversaires Osaka (Japon), Ekaterinbourg (Russie) et Bakou (Azerbaïdjan) pour succéder, en 2025, à Dubaï (Emirats Arabes Unis) qui accueillera l'Expo 2020. Un défi français? Evidemment. Mais la France, première destination touristique mondiale, sera bien positionnée un an après les JO de 2024 sur le thème choisi: «La connaissance à partager, la planète à protéger», qu'incarne bien Paris-Saclay. Le modèle adopté, celui d'une exposition montée et gérée par le secteur privé, ne coûtera pas au contribuable. Tout sera par ailleurs recyclé. Une nouvelle cité universitaire sera constituée à partir des différents pavillons. Une structure permanente dédiée à la recherche et à l'innovation, baptisée «Le Globe» - une sphère de plus de 100 m de diamètre - verra le jour.

Ce sera, si Paris est désignée, une exposition universelle européenne ?

La dernière exposition universelle organisée à Paris est celle de 1900. Et nous n'avons, pour 2025, pas d'autres concurrents au sein de l'UE. Donc oui, l'Europe sera au cœur de ce projet qui, selon nos prévisions, représentera un investissement de trois milliards d'euros. Notre chantier vise, ni plus ni moins, à porter haut le drapeau d'une nouvelle France et d'une nouvelle Europe à destination du public potentiel que sont les classes moyennes des pays émergents, notamment en Asie. 2025, ce sera dix ans après l'accord de Paris en 2015 sur le climat. C'est aussi cinq ans avant la date de 2030 pour les objectifs du millénaire de l'ONU. Un bon moment pour un sommet de l'ONU qui ferait le point sur ce parcours. A Genève? A Paris?

Une exposition universelle est, par définition, le symbole de cette mondialisation avec laquelle la France a tant de difficultés. Une ironie?

La France rêve de maîtriser une mondialisation qu'elle n'aime guère: trop inégalitaire, trop violente, trop gigantesque pour elle. L'élément nouveau est l'appel d'Emmanuel Macron à la souveraineté européenne. C'est le bon niveau pour raisonner et pour agir. L'idée d'une Europe-puissance qu'il promeut, est la bonne réponse, couplée avec la défense d'une identité civilisationnelle. Il faut d'urgence avancer dans ce sens, en s'appuyant sur le fait que le modèle européen demeure désirable. Trump, Poutine, Erdogan et le Brexit sont paradoxalement les meilleurs avocats de la cause d'une souveraineté européenne.

Le Brexit aussi, alors que le départ du Royaume Uni incarne le délitement de l'Union ?

Le Brexit bute sur une réalité: on ne sait pas sortir un œuf d'une omelette! Je pense que l'élection d'Emmanuel Macron en France a aussi marqué un tournant dans la conception que les Français ont de la mondialisation. En gros, une majorité reste sceptique. Mais une majorité plus grande encore a compris que le coût de la «démondialisation» serait trop élevé. On peut faire aussi le parallèle avec l'UE. Certes, l'ultranationalisme, le souverainisme sont représentés dans presque tous les parlements. Ils ne disparaitront pas de sitôt. Mais ils ne gagnent plus de terrain. Le Brexit, de ce point de vue, a marqué un virage, en favorisant une prise de conscience.

Avec l'Allemagne, la fenêtre d'opportunité est là

Vous connaissez bien l'Allemagne. Angela Merkel, affaiblie par la progression électorale de l'extrême-droite, peut-elle répondre positivement aux avances d'Emmanuel Macron ?

Angela Merkel ne voudra pas quitter la chancellerie sans avoir, sur le plan européen, au moins égalé le bilan du père politique qu'elle a tué: Helmut Kohl. La fenêtre d'opportunité est donc là. Merkel et Macron ont trois, quatre ans devant eux pour que la France retrouve sa crédibilité et que l'Allemagne démontre sa flexibilité. Or de ce point de vue, le discours récent du président français a ouvert des perspectives. Affirmer que la France est prête à discuter de la réforme de la politique agricole commune, tabou intégral jusque-là, est une ouverture. De même que les propositions de recettes fiscales propres de l'UE, pour suppléer à la contribution britannique. On se trompe si l'on croit que Macron est un partisan de l'austérité. C'est un pragmatique. Il regarde l'économie comme une chose vivante. Il n'est pas enfermé dans un dogme. Il peut être l'accoucheur de transformations européennes profondes. Il a mis le système en mouvement. Sa proposition d'une liste transnationale de candidats pour les prochaines élections européennes va dans ce sens. Ce sera ardu, car beaucoup de forces politiques sont bien contentes de faire des élections européennes une affaire de politique nationale.

Avec un problème: le risque d'accroissement des inégalités si les cadeaux budgétaires faits aux ménages aisés sont trop nombreux...

S'attaquer à la rente immobilière française d'une part, et chercher à rendre l'épargne des Français plus productive va dans la bonne direction. A cause de la valeur de leur patrimoine immobilier, les Français sont plus riches que les Allemands. Cela démontre bien que quelque chose ne va pas dans l'économie hexagonale. Est-ce que Macron fait aujourd'hui plutôt une politique de droite ? Oui, c'est vrai. Il doit dès lors la compenser en obtenant des résultats sur d'autres sujets sensibles, comme celui des travailleurs détachés envoyés en France par des entreprises qui ne paient pas les charges sociales, ou encore la réforme de la formation professionnelle. D'une manière générale, les Européens ne veulent pas fermer les yeux, comme les Américains ou les Chinois le font, sur la souffrance sociale et culturelle suscitée par l'efficacité du modèle capitaliste. L'Europe doit se donner les moyens de préserver son modèle, qui est moins dur que les autres.

Tel était l'objectif de la social-démocratie que vous avez longtemps incarné en Europe, aux côtés de Jacques Delors. Or ce courant politique de la gauche «raisonnable» est aujourd'hui très mal en point, partout dans l'UE..

Je crois beaucoup à cette formule de l'auteur anglais Guy Standing selon lequel le «précariat» a remplacé le prolétariat. Tout le défi est là. Nous sommes dans une phase de violence sociale qui déstabilise les Etats, mais aussi les syndicats. L'Europe a besoin d'une social-démocratie réinventée, qui se positionne sur les thèmes qui préoccupent aujourd’hui les jeunes: la santé, l'environnement et la paix. Un mouvement qui doit redevenir social avant d'être politique.


Dernier livre paru: «Où va le monde?» avec Nicole Gnesotto (Ed. Odile Jacob)