Même touffe de cheveux en bataille, même diction faussement hésitante, même sens de l’humour: l’air de famille avec son fils Boris est frappant chez Stanley Johnson. Le père de l’actuel premier ministre du Royaume-Uni, «first father», comme il se surnomme, arrive cependant d’un point de vue diamétralement opposé sur la question européenne. L’homme a été fonctionnaire européen dès 1973, au moment où le Royaume-Uni est devenu pays membre de la Communauté économique européenne. Six ans plus tard, il a fait partie du premier contingent de députés européens, membre du Parti conservateur, à l’époque une formation pro-UE. Pendant la campagne du référendum en 2016, il a activement fait campagne contre le Brexit.

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Aujourd’hui, il soutient son fils, par fierté familiale bien sûr, et par respect pour le résultat du vote des Britanniques. Mais il reconnaît que la victoire politique de Boris Johnson a un goût «aigre-doux». «Je suis personnellement très content mais c’est quand même ironique», confie-t-il à un groupe de journalistes européens, dont Le Temps.

Accord inacceptable pour le Royaume-Uni

Son appel aux Européens à faire un geste dans les négociations du Brexit n’en a que plus de poids. «Il me paraît évident que l’accord de retrait n’est pas acceptable pour le Royaume-Uni, explique-t-il. Personne ne veut aller au «no deal». Mais je crois que l’Union européenne nous y pousse. Il est prioritaire que nos partenaires européens comprennent qu’ils ont une énorme responsabilité. Ils n’ont pas besoin de choisir cette voie.»

Son appel a peu de chances d’être entendu. Son fils a entamé son mandat toutes sirènes hurlantes, exigeant que Bruxelles supprime le fameux «backstop» comme précondition à l’entame de négociations. La réponse de Michel Barnier, le négociateur européen, ne s’est pas fait attendre: «Inacceptable.»

Mais le point de vue de Stanley Johnson est assez représentatif du dialogue de sourds qui règne entre le Royaume-Uni et l’UE. S’il entrait en vigueur, le «backstop», ce mécanisme qui garantit qu’il n’y ait pas de frontière irlandaise, obligerait le Royaume-Uni – ou au moins l’Irlande du Nord – à rester dans l’Union douanière européenne et à conserver les réglementations de l’UE. Cela constituerait une vraie perte de souveraineté économique. Dans les milieux du Parti conservateur, dont Stanley Johnson a fait partie toute sa vie, c’est désormais un anathème. Qu’un homme comme lui tienne de tels propos permet de mesurer qu’il est désormais très difficile pour Boris Johnson de faire des compromis: son propre parti aurait du mal à l’accepter.

«Rappelez-vous de 1940»

«Vous nous précipitez du haut de la falaise, proteste Stanley Johnson. Et qui souffrira le plus? Pas le Royaume-Uni. Nous serons prêts. Rappelez-vous de 1940… Les gens qui vont vraiment souffrir seront les Irlandais.» En cas de «no deal», l’économie la plus touchée serait effectivement celle d’Irlande, sa route commerciale vers l’UE passant par le Royaume-Uni. «Il y a une contradiction inhérente à ce que l’UE force le «no deal» au nom de la défense des Irlandais, et que ce soit ces derniers qui en souffrent.» S’adressant aux journalistes européens qui l’interrogent, Stanley Johnson ajoute: «Vous, les correspondants européens, vous devriez dire: voyons, M. Barnier, faites attention.»

Le père de Boris Johnson ne s’embarrasse cependant pas plus que son fils de proposer une solution alternative qui permette d’éviter une frontière irlandaise. Il promet simplement que les Britanniques n’installeront pas de contrôles.

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L’évolution du père de Boris Johnson sur la question européenne en dit long sur la radicalisation du Parti conservateur. «Je me dis qu’il faut peut-être prendre une perspective historique, se justifie-t-il aujourd’hui. Au regard de mille ans d’histoire, peut-être que notre place est hors de l’Union européenne. De Gaulle nous avait dit «non» (refusant l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE). Peut-être qu’il avait raison. Et puis, 17,4 millions de Britanniques ont voté pour sortir de l’UE. Alors, aujourd’hui, je n’ai aucune hésitation à soutenir Boris.»

Reste un mystère. Lui qui a passé tant d’années à Bruxelles, où son fils a été à l’école, lui qui a des racines turques, allemandes, suisses et françaises, croit-il que Boris Johnson est sincère dans sa croisade anti-européenne? Qu’il ne s’agit pas d’un simple calcul politique? Stanley Johnson entame une réponse alambiquée, reconnaissant qu’il se pose lui-même la question. Mais tout cela est du passé, explique-t-il en substance. Désormais, ni lui ni son fils ne se posent la question. «Il est certain que le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne le 31 octobre.»