Philippe Martinez face au mur Macron
France
Le leader de la CGT joue son avenir avec la grève «perlée» de la SNCF qui démarre ce mardi et pourrait durer jusqu’à fin juin. Son espoir? La «convergence des luttes»…

Ils ont quinze jours pour enrayer le quinquennat. S’ils ne parviennent pas, d’ici au 19 avril, à faire plier le gouvernement français dans sa volonté de réforme de la Société nationale des chemins de fer (SNCF), les cheminots de la CGT savent que la bataille deviendra intenable.
Sur le papier, 36 jours de grève «perlée» sont annoncés entre ce mardi 3 avril et le 28 juin, date des premiers grands départs en vacances estivales. Mais l’issue de l’épreuve de force sociale devrait être connue bien avant, au moment de la nouvelle journée nationale de manifestation organisée le 19 avril par le premier syndicat français. C’est à cette date – alors que le débat au parlement sur la réforme de la SNCF aura commencé dix jours plus tôt – que l’on saura si l’unité demeure entre les syndicats.
Et si l’ampleur des blocages ferroviaires, mêlés aux colères sociales tous azimuts, débouche sur la «convergence des luttes» voulue par le patron de la CGT, Philippe Martinez. «Tout est sur la table, riposte-t-on dans l’entourage du premier ministre, Edouard Philippe. La réforme a été annoncée publiquement. Trente réunions de concertation avec les partenaires sociaux sur les 70 prévues ont eu lieu. Les Français veulent-ils tout bloquer? Nous le saurons très vite.»
Un statut particulier
L’homme lige de cette paralysie du rail hexagonal doit, lui, obtenir le déraillement du plan gouvernemental qui envisage d’abroger le statut particulier des cheminots (leurs régimes de retraite, leurs conditions d’emploi, leurs avantages en nature les différencient des autres salariés français) et d’ouvrir le rail français à la concurrence dès 2019 pour les lignes régionales, et dès 2020 pour les grandes lignes. A 57 ans, deux ans après son élection difficile au congrès de mars 2016, Philippe Martinez sait que ses détracteurs, au sein de sa centrale et en dehors, l’attendent au tournant. Le prochain congrès de la CGT aura lieu dans un an.
Les relations avec ses alliés de Sud Rail (ils sont, ensemble, sortis majoritaires aux élections professionnelles de 2015, avec 34% pour la CGT) sont tendues. Les réformistes de la CFDT, devenue le premier syndicat français dans le secteur privé, pourraient déserter la confrontation si l’exécutif renonce, comme il semble y réfléchir, à légiférer en urgence par ordonnances. Autant de failles possibles dans le dispositif, et d’entraves à la répétition du scénario de 1995, lorsque son prédécesseur Bernard Thibault a obligé le premier ministre Alain Juppé à retirer son projet de réforme des retraites, paralysant dès ses débuts le premier septennat de Jacques Chirac.
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Thibault-Martinez: la comparaison entre les deux hommes dit beaucoup sur ce conflit qu’Emmanuel Macron aborde a priori en position de force. 72% des Français, selon un sondage IFOP dimanche, pensent que le gouvernement ira jusqu’au bout sans céder aux grévistes, même s’ils ne sont que 51% à souhaiter que la réforme annoncée soit adoptée. Cheminot lui-même, entré à la SNCF comme apprenti à l’âge de 15 ans, Bernard Thibault incarnait le rail, dans une entreprise publique choyée par le pouvoir sous les deux septennats de François Mitterrand (1981-1995).
L’intéressé, membre du Parti communiste, disposait aussi, en 1995, du soutien de ce dernier, pas encore complètement atomisé par les bouleversements économiques et sociaux. Philippe Martinez, en revanche, n’est pas un homme du rail, mais de la métallurgie et de l’automobile. Ses combats furent ceux des ouvriers de Renault, dont il dirigea le syndicat CGT, sans parvenir à empêcher les fermetures d’usines. Equation plus compliquée encore: l’homme à l’épaisse moustache, fils d’un ancien combattant républicain espagnol lors de la guerre civile, est parvenu à la tête de la CGT sur fond de crise, après le départ de Thierry Lepaon en janvier 2015, sur fond de controverse sur son train de vie.
Semeur d’antagonismes
Face au mur Macron qu’il espère ébranler, le patron de la CGT a un autre handicap: celui d’antagoniser ses interlocuteurs. Exemple: son choix d’une grève «perlée» assurée de donner des cauchemars aux employés non grévistes de la SNCF et aux usagers. Elisabeth Borne, la ministre des Transports, ancienne patronne des transports publics parisiens entre 2015 et 2017, passe son temps à dénoncer sur les plateaux TV ces «manœuvres» alors, dit-elle, «que la concertation reste ouverte 7j/7 et 24h/24».
D’où l’importance, pour Philippe Martinez, de trouver rapidement des alliés au-delà du rail, chez Air France (en grève également ce mardi), chez les fonctionnaires et aussi du côté des étudiants en colère. Pour prouver que le «grand soir social», cinquante ans après Mai 68, ne se conjugue pas définitivement au passé.