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Le 75e anniversaire du débarquement allié en Normandie fait remonter à la surface un autre souvenir: celui des journalistes qui, au péril de leur vie, racontèrent ce D-Day

Commençons par remercier l’un de nos lecteurs: Gabriel Risold est, à l’évidence, un spécialiste des forces alliées en Normandie lors du débarquement du 6 juin 1944, dont la célébration du 75e anniversaire a lieu ce jeudi en présence de Donald Trump. Notre lecteur a donc pris connaissance, samedi 1er juin, de notre article sur l’amitié franco-américaine scellée, ce jour-là, dans «le sable et le sang».
Or trois erreurs s’étaient glissées dans mon récit, alimenté par de copieuses notes trop brouillonnes, à l’issue de mes lectures et de mes entretiens avec des historiens. La 6e division aéroportée américaine était en réalité britannique et transportée par planeurs dans le bocage normand. Une confusion s’était glissée entre la plage Sword (britannique) et Juno (canadienne). Et les divisions parachutistes américaines engagées ce jour furent la 82e et la 101e, dont j’ai croisé le chemin à Bagdad (Irak), au début des années 2000. Dont acte. Et merci à ce lecteur passionné.
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Correspondants de guerre
Un autre aspect de ce D-Day a, au fil de mes recherches, attiré mon attention. Il concerne les correspondants de guerre qui, en ce jour fatidique, suivirent les troupes alliées. Avant, pour la plupart, de revenir le soir même pour Londres afin d’y expédier leurs «dispatch», textes, photos ou images. Or un confrère et ami s’est penché sur la question. Le journaliste belge Jean-Paul Marthoz est familier de Genève, où il vint souvent dans le passé défendre les rapports d’Human Rights Watch, dont il fut porte-parole.
La bataille fétiche de Jean-Paul n’est pourtant pas celle de Normandie, mais celle des Ardennes – «The battle of the bulge» pour les Américains –, cette effroyable tentative de contre-offensive allemande de l’hiver 1944-1945. Marthoz l’Ardennais a grandi avec, en tête, le récit de ces combats dans la neige et le froid, racontés par John Toland dans Bastogne (Livre de Poche). Mais c’est dans le sable et le sang du D-Day que son texte, publié par le nouveau mook belge 1944, nous plonge avec les «invasion reporters».
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«Ce ne sera pas une corbeille de roses»
Plus de 500 correspondants de guerre furent accrédités par le QG allié, dont 150 pour accompagner la première vague d’assaut du 6 juin 1944. Leur uniforme était orné d’un écusson C (Correspondent) qui leur donnait le grade de capitaine. Leur barda? Machine à écrire, blocs-notes mais aussi très prosaïquement une pelle pliable, des rations K, un kit de premiers soins et des préservatifs «pour protéger les bobines de pellicules». Leur mot d’ordre était celui d’Eisenhower, le commandant en chef, qui les avait rassemblés le 22 mai au centre de Londres. «Nos pays se battent mieux quand nos citoyens sont mieux informés. Vous aurez le droit d’informer sur tout ce qui est possible, en accord avec la sécurité militaire. Je n’ai pas de doute sur l’issue, mais ce ne sera pas une corbeille de roses.»
Parmi les «invasion reporters» figurait Robert Capa, fondateur de l’agence Magnum. Ernest Hemingway, lui, ne put descendre sur la terre ferme et retourna le soir en Angleterre. Son reportage, paru dans Collier’s, titré «Voyage to Victory», plonge le lecteur au milieu d’une barge de débarquement, «une baignoire d’acier à la forme d’un cercueil», qui vogue, ballottée par les vagues, vers les plages de Fox Green et d’Easy Red (Omaha Beach), au milieu des mines, dans la ligne de tir des mitrailleuses allemandes.
Une ambiance euphorique
Tous avaient été choisis pour leur expérience. Le futur présentateur TV Walter Cronkite, de United Press, faisait partie du Writing 69th, l’illustre équipe de correspondants qui, en 1943, avaient volé en bombardier au-dessus de l’Allemagne. «On m’avait demandé de rester à Londres pour aider à écrire les articles de fond le jour J, confie-t-il dans ses Mémoires. Je détestais l’idée de rater cet événement, mais d’un autre côté, atterrir sur cette plage pouvait se révéler plutôt désagréable.»
Quelques jours plus tard, le camp de presse s’installa au château de Vouilly, à côté de Bayeux, au cœur du Calvados. Il y régnait une ambiance euphorique. Les correspondants affichaient l’assurance d’appartenir au bon camp. L’héroïsme des soldats alliés était leur quotidien et leur matière rédactionnelle. «Comment Hitler pourrait-il l’emporter contre des gars comme ça?» écrivit Walter Rosenblum, de l’US Army Pictorial Service, en marge de l’un de ses plus célèbres clichés du D-Day.