Les poisons du KGB, une longue histoire
Guerre froide
Discrets et indétectables, ils sont censés simuler une mort naturelle

Chat échaudé craint l’eau froide. Si les Britanniques déploient aujourd’hui des mesures dignes d’une attaque de type NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), c’est qu’ils ont connu en 2006, en plein Londres, l’affaire de l’empoisonnement au polonium 210, d’un autre ex-agent russe, Alexandre Litvinenko.
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Toujours dans la capitale britannique, dans la lointaine année 1978, un dissident venu de Sofia, Guéorgui Markov, trouvera la mort dans des souffrances atroces après avoir été piqué par ce qui deviendra par la suite le tristement célèbre parapluie bulgare. De la ricine, diront les spécialistes, un poison connu depuis la nuit des temps, aussi indétectable que fulgurant. Plus tard, un transfuge soviétique racontera que la méthode avait été d’abord testée sur un chien. A Paris, un autre transfuge bulgare, Vladimir Kostov a vraisemblablement survécu à cette même «sanction», avant qu’elle ne soit appliquée à Markov. Jusqu’à aujourd’hui, il se considère comme un miraculé.
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Un infarctus aux yeux des médecins
Aujourd’hui, les regards se tournent de nouveau vers Moscou et son fameux arsenal de poisons létaux, objet de toutes les spéculations. On sait, grâce aux travaux d’experts comme Arkadi Vaksberg, que les Soviétiques ont eu recours à «la violence d’Etat utilisée comme outil politique au moyen de meurtres secrets, déguisés la plupart du temps en accidents ou morts naturelles».
En 2009, Boris Volodarski, ancien officier du GRU, le renseignement militaire soviétique, a publié un livre intitulé La Fabrique de poisons du KGB, de Lénine à Litvinenko. Plusieurs lieux de fabrication sont mentionnés, du «cabinet particulier» des bolcheviques jusqu’aux célèbres laboratoires nos 1 et 12 pendant la Guerre froide.
Au tout début, il y avait la balle enrobée de cyanure, puis le cyanure tout court, vaporisé dans le nez de la victime: c’était la méthode préférée de Bogdan Stachinski, «liquidateur» en série de nationalistes ukrainiens dans les années 1950. Aux yeux des médecins, la victime mourait d’infarctus. En 1957, le KGB tenta d’assassiner un de ses tueurs ayant fait défection, Nikolaï Khokhlov, à l’aide de thallium, une substance radioactive elle aussi réputée indétectable.
Utilisés aussi à l’intérieur de la Russie
A en croire l’historien britannique Christopher Andrew, Vladimir Poutine n’est pas seulement un digne héritier de ses prédécesseurs. L’actuel président russe «semble avoir moins de réticences à l’égard d’assassinats ponctuels à l’étranger que tous les dirigeants soviétiques depuis Khrouchtchev», écrit-il. Des poisons semblent désormais utilisés contre des opposants à l’intérieur du pays. Iouri Chekochikhin, responsable des enquêtes de Novaïa Gazeta et député d’opposition, meurt en 2003 après une mystérieuse maladie, qui l’emporte en à peine deux semaines.
Travaillant dans ce même journal, Anna Politkovskaïa, célèbre pour ses reportages en Tchétchénie, tombe dans le coma après avoir bu un thé dans l’avion. A deux reprises, en 2015 et 2016, l’opposant Vladimir Kara-Mourza, se retrouve aux urgences en état de quasi-mort clinique, victime d’une étrange intoxication. Ses médecins ont raconté, exactement comme ceux de Markov en 1978, comment «l’un après l’autre, ses organes vitaux se sont mis à l’arrêt».
Dans une longue étude sur son cas, l’essayiste Masha Guessen suggère que les services russes ne visent plus l’élimination physique mais l’asservissement de leurs opposants et de leurs familles à travers des empoisonnements de basse intensité qui ne causent pas une mort foudroyante mais, à l’instar de certaines maladies tropicales, restent toujours présentes dans l’organisme et nécessitent régulièrement des soins intensifs.
Une arme largement utilisée
Dernier cas d’empoisonnement, Kim Jong-nam, demi-frère en disgrâce du dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong-un, a été assassiné en plein jour le 13 février 2017 à l’aéroport de Kuala Lumpur, en Malaisie. Des traces de VX, un agent neurotoxique classé comme arme de destruction massive, ont été découvertes sur son visage et dans ses yeux lors d’examens médico-légaux.
En septembre 2004, l’Ukrainien Viktor Iouchtchenko, candidat de l’opposition et futur président, tombe gravement malade en pleine campagne pour la présidentielle qui l’oppose à Viktor Ianoukovitch, candidat favori de Moscou. Des médecins autrichiens identifient trois mois plus tard un empoisonnement à la dioxine.
En septembre 1997, à Amman, des agents israéliens tentent d’assassiner Khaled Mechaal, chef du bureau politique du mouvement islamiste Hamas, en lui injectant du poison dans le cou. Tombé dans le coma, le responsable palestinien est sauvé par l’intervention du roi Hussein de Jordanie, qui exige du gouvernement israélien, dirigé par Benyamin Netanyahou, l’antidote en échange de la libération des deux agents israéliens.