Cela devait être une rencontre «historique». Vendredi à Bruxelles, les présidents du Kosovo et de la Serbie, Hashim Thaçi et Aleksandar Vucic, allaient enfin révéler le cadre devant permettre d’aboutir à un «accord final» entre leurs deux pays. Depuis le début de l’été, les rumeurs allaient bon train, évoquant un échange de territoire entre le nord du Kosovo, contigu à la Serbie, majoritairement peuplé de Serbes et gouverné en théorie seulement par Pristina, et la vallée de Presevo, dans le sud de la Serbie, où vivent près de 100 000 Albanais. Las! Après un bref entretien avec Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne, le président serbe a refusé de rencontrer son homologue kosovar.

Enjeux énergétiques

C’est l’organisation du voyage d’Aleksandar Vucic au Kosovo, prévu de longue date et accepté par les autorités de Pristina, qui semble avoir offert le prétexte à la brouille. Jeudi, le président serbe annonçait son intention de se rendre sur le barrage de Gazivode, dans le nord du Kosovo, mais Pristina refusait cet ajout au programme, arguant des «raisons de sécurité», avant de céder après de fortes pressions internationales. Aleksandar Vucic a donc pu s’offrir ce week-end le plaisir de deux jours de visite au Kosovo, multipliant les séances photos avec les vieillards et les enfants des enclaves serbes, tout en érigeant le fameux barrage de Gazivode au rang d’enjeu stratégique majeur. Sans celui-ci, a-t-il assuré samedi, «il n’y a pas d’avenir pour les Serbes du Kosovo».

Ce barrage et son lac de retenue, principale réserve d’eau du Kosovo, se situent à cheval sur la Serbie et la commune de Zubin Potok, dans le nord serbe du Kosovo. Belgrade accuse régulièrement Pristina de «voler» l’électricité produite, alors que les enjeux énergétiques ont déjà fait l’objet de plusieurs accords dans le cadre du «dialogue technique» mené depuis 2011 entre Belgrade et Pristina, sous l’égide de l’Union européenne. Tout en donnant l’accolade aux agents d’entretien et aux pompiers, Aleksandar Vucic a donc lancé le clair message que tout ce qui a été négocié depuis sept ans n’avait, au vrai, aucune valeur.

Un grand chef dont les intentions étaient les meilleures, mais dont les résultats furent les pires

Aleksandar Vucic, à propos de Slobodan Milosevic

Dimanche, le voyage a connu son moment attendu de «tension». Arrivé de bon matin à Mitrovica, le président serbe devait se rendre dans le village de Banja, enclavé dans la région de la Drenica, l’un des berceaux du nationalisme albanais. Comme l’on pouvait s’y attendre, les vétérans de la guérilla de l’UÇK avaient dressé des barricades, coupant les routes. Les autorités et les médias de Belgrade ont même évoqué «des rafales d’armes automatiques» que, sur place, personne ne semble avoir entendues. Aleksandar Vucic a donc dû renoncer à cette visite et se concentrer sur son meeting de la mi-journée.

Après un hommage inattendu à son prédécesseur Slobodan Milosevic – «Un grand chef dont les intentions étaient les meilleures, mais dont les résultats furent les pires» –, il a promis aux Serbes du Kosovo qu’il veillerait à la défense de leurs droits, en démentant avoir jamais eu l’idée d’échanges de territoires avec Pristina. Il a aussi assuré «qu’aucune solution n’était en vue» et qu’il n’existait «aucun projet, ni à Bruxelles ni ailleurs». Ceux qui voulaient croire à l’imminence d’un «accord historique» en seront donc pour leurs frais.

Alors que les communicants de Belgrade et de Pristina avaient tout fait, depuis quelques semaines, pour «vendre» cette idée d’une «correction des frontières» entre le Kosovo et la Serbie, idée confirmée lors de la rencontre des deux chefs d’Etat en marge du sommet européen d’Alpbach, fin août en Autriche, les raisons de ce rétropédalage demeurent incertaines. Le camouflet est évident pour Federica Mogherini, même s’il paraît certain qu’Aleksandar Vucic et Hashim Thaçi se retrouveront bientôt autour d’une table.