La presse britannique salue l’habile manœuvre de Rishi Sunak sur l’Irlande du Nord
Revue de presse
Avec la conclusion de l’accord sur l’Irlande du Nord qui amorce «un nouveau chapitre» des relations avec l’UE, le premier ministre britannique a habilement déplacé la pression sur le parti conservateur et les unionistes nord-irlandais, analyse la presse du Royaume-Uni

Il ne perd pas de temps. Alors que les conservateurs eurosceptiques britanniques et leurs avocats se réuniront mardi soir pour décortiquer l’entente qu’il a conclue lundi avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, Rishi Sunak sera, lui, en visite dans les entreprises nord-irlandaises pour défendre son compromis. D’abord signé en 2020 et négocié après le Brexit par l’ancien premier ministre Boris Johnson, le protocole nord-irlandais réglemente la circulation des biens entre le reste du Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, qui dispose de la seule frontière terrestre avec l’Union européenne. Dans cet imbroglio relationnel entre Bruxelles, Londres et Belfast plombé par les conséquences du Brexit, le premier ministre britannique a fait descendre la pression politique d’un étage lundi: ce sont désormais sur son parti conservateur et les unionistes d’Irlande du Nord que reposent la stabilité du Royaume-Uni et sa relation avec l’Union européenne.
La grande discrétion qui a entouré les négociations entre Bruxelles et Londres en dit long sur les enjeux du protocole d’accord signé par Rishi Sunak. Le premier ministre jouait gros: il s’agissait, d’une part, de rétablir les relations avec l’UE, et d’autre part, d’asseoir son leadership sur un parti conservateur jugé ingouvernable depuis les démissions successives de ses premiers ministres et miné par des divisions internes au sujet du Brexit. Pour The Guardian, régler les détails avec Ursula von der Leyen représentait la partie la plus facile, convaincre les conservateurs et le Parti unioniste démocrate (DUP) sera plus délicat.
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Pressions au Royaume-Uni
Le quotidien britannique salue le travail de Rishi Sunak, parvenu à prendre la main sur ce dossier trois ans après le chaos organisé par Boris Johnson et le divorce acté entre le Royaume-Uni et Bruxelles. Il souligne qu’avec son nouveau protocole, «Rishi Sunak prend désormais de court les conservateurs hostiles à l’égard de l’UE en s’appuyant sur le sentiment de la population, lassée de l’épineux dossier européen». Le premier ministre a également tourné l’approche des prochaines élections à son avantage: «En concluant un accord avant cette échéance, il a limité les risques d’opposition à l’interne des tories. Une fronde au sein de son camp en période électorale serait un suicide politique pour les conservateurs», relève The Guardian. La crainte de revivre des dissensions internes pourrait de surcroît suffire à ce que l’accord soit entériné par les députés sans que le gouvernement n’ait à compter sur les votes des travaillistes, alors même que leur chef de file, Keir Starmer, a déjà déclaré que son parti voterait avec le gouvernement.
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En Irlande du Nord, un bras de fer entre les unionistes et le gouvernement de Rishi Sunak se joue désormais. Partisan d’une proximité politique avec Londres, le DUP refuse toute application du droit européen dans la province. Depuis un an, et malgré une défaite cinglante lors des élections de mai 2022, le parti unioniste bloque le fonctionnement de l’Assemblée nord-irlandaise en signe de protestation. Le nouvel accord entre Londres et l’UE, qui conserve notamment l’arbitrage de la Cour de justice européenne sur les règles du marché unique, a de quoi raviver leur contrariété. Cependant, les unionistes pourraient réfléchir à deux fois avant de se remettre à dos la majorité des Nord-Irlandais qui ont rejeté le Brexit, souligne de son côté The Economist.
Pour l’instant, Jeffrey Donaldson, le chef du DUP, est resté vague sur la position de son parti. S’il a remarqué «des progrès significatifs» dans l’accord révisé, il a aussi regretté dans un communiqué que, «dans certains secteurs de l’économie, le droit européen reste applicable en Irlande du Nord». Quelques heures plus tôt, il avait assuré au journal unioniste nord-irlandais Belfast News Letter que le texte «serait examiné par des juristes» pour s’assurer que «le rôle de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni et de son marché intérieur [était] rétabli», rapporte le Courrier international.
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La Suisse ne pourra pas s’inspirer du «Stormont Brake»
Ainsi, conservateurs et unionistes eurosceptiques devraient reconsidérer leur position, analyse The Economist. «Les députés conservateurs intransigeants qui s’opposent à l’accord de Rishi Sunak n’ont pas proposé d’alternative sérieuse. S’en tenir au statu quo n’est pas satisfaisant car il perturbe gravement le commerce et pourrait déclencher de nouveaux litiges. Persister avec le projet de loi permettant la répudiation unilatérale du protocole enfreindrait le droit international et envenimerait davantage des relations déjà empoisonnées avec l’UE. De nouvelles querelles internes sur le Brexit porteraient gravement atteinte au gouvernement, ce qui compromettrait les chances électorales déjà faibles des tories», observe le quotidien.
Fait qui intéressera la Suisse dans son impasse avec l’Union européenne, un fonctionnaire européen a souligné que le Stormont Brake, qui vise au sein du protocole à bloquer l’application de normes européennes en cas d’urgence par le parlement nord-irlandais, était «exclusivement destiné à l’Irlande du Nord», souligne The Irish Times. De plus, le nouveau protocole permettra à la Grande-Bretagne de devenir un membre associé du programme de recherche Horizon de l’UE, dont la Suisse est toujours écartée.
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