Au procès «Charlie», un verdict et des leçons amères
France
Six ans après les attentats de janvier 2015, la cour d’assises spéciale de Paris a prononcé des peines allant de quatre ans de prison à la perpétuité contre quatorze personnes reconnues complices des terroristes de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher

Ils sont les maillons de l’engrenage. Et les lourdes peines de prison qui leur ont été infligées, à l’issue du procès entamé le 2 septembre, signifient avant tout que leur responsabilité, même minime, est accablante. Lundi soir, la Cour d’assises spéciale a jugé coupables les 14 individus – 11 présents et trois en fuite ou présumés disparus – accusés d’avoir aidé les frères Kouachi, auteurs du massacre du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, et Amedy Coulibaly, auteur de la prise d’otages meurtrière de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015 et présumé responsable, la veille, de la mort de la policière Clarissa Jean-Philippe à Montrouge. Tous coupables, donc. Et condamnés à des peines allant de quatre ans de réclusion à la perpétuité.
Le seul condamné qui devra passer – s’il réapparaît – le reste de sa vie derrière les barreaux est Mohamed Belhoucine, présumé mort en Syrie et jugé par défaut. Son jeune frère, Mehdi, lui aussi né à Bondy (nord de Paris) et présumé disparu, a pour sa part fait l’objet d’une «extinction de l’action judiciaire», du fait de sa condamnation en janvier dans un autre procès. Les deux autres accusés à écoper des peines les plus lourdes – 30 ans de réclusion assortie d’une peine de sécurité des deux tiers – sont l’épouse en fuite d’Amedy Coulibaly, Hayat Boumedienne, et le Franco-Turc Ali Riza Polat, présenté comme le «bras droit» du tueur de l’Hyper Cacher (pour lequel l’avocate a aussitôt interjeté appel).
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Ce dernier était peu à peu devenu, au fil des audiences, le personnage central parmi les accusés, exigeant d’être évacué pour raisons sanitaires après la reprise des débats, à la suite de sa contamination au Covid-19. Son comportement, ses insultes envers les magistrats montraient en creux ce qui l’a sans doute conduit, jadis, à prêter assistance à Amedy Coulibaly: un rejet de la société et une volonté de s’imposer au détriment de toutes les règles. Ali Riza Polat était un maillon typique de cet engrenage: un délinquant chevronné informé, selon les magistrats, des desseins terroristes de son ami. Impassible devant les dégâts humains que ce dernier se disait prêt à provoquer au nom de son fanatisme islamique…
Appui d’un réseau de délinquants
Le reste du verdict prononcé par les magistrats – dont les débats ont été tragiquement ponctués par une nouvelle vague d’attentats dont la décapitation de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre 2020 et le meurtre de trois personnes dans la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre – est globalement inférieur aux réquisitions du parquet national antiterroriste. Mais il témoigne de la volonté des juges de Considérer tout acte de soutien aux tueurs, même limité, tel le fait de cacher un des sacs des frères Kouachi, comme un maillon déterminant de la chaîne conduisant aux attentats.
La qualification «terroriste» a été abandonnée pour six accusés pour lesquels «aucune conviction ou idéologie religieuse de type radicale» n’a été établie. Mais le lien entre les actes de ces complices les plus éloignés, reconnus coupables «d’association de malfaiteurs» (Metin Karasular, Michel Catino, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez) est bel et bien effectué. Malgré leur parcours solitaire, d’ailleurs peu éclairé durant les débats, Saïd et Chérif Kouachi, tout comme Amedy Coulibaly, se sont appuyés sur un réseau de délinquants. Lesquels avaient choisi de fermer les yeux, malgré la radicalisation parfois évidente de leurs interlocuteurs, tués presque simultanément par la police française le 9 janvier 2015.
Une forme d’impuissance
Que restera-t-il des cinquante-quatre jours d’audience dans cette salle du Palais de justice de Paris où ont défilé certains personnages essentiels pour comprendre l’enchaînement des événements, comme les rescapés de Charlie Hebdo, les membres actuels de la rédaction de l’hebdomadaire satirique ou l’ex-otage de l’Hyper Cacher Lassana Bathily? Un sentiment diffus d’amertume, que la republication des caricatures de Mahomet et les meurtres qui ont suivi ont sans doute accru.
Certes, la plaidoirie remarquable de l’avocat historique de Charlie Hebdo Richard Malka sur l’indispensable liberté de penser a été saluée. Mais comment mettre un terme à une pareille horreur alors que les tueurs ont péri les armes à la main et sont toujours considérés comme des héros par les groupuscules islamistes radicaux? Est-il juste, comme l’énonçait mercredi l’éditorial de Charlie Hebdo, que «le cycle de la violence […] s’est enfin refermé, au moins sur le plan pénal car, humainement, les répercussions ne s’effaceront jamais»? Pas sûr.
L’absence de preuves dans de nombreux dossiers a aussi montré, lors de ce procès fleuve, combien la justice pouvait être impuissante face à une idéologie islamiste meurtrière qui transforme en terroristes, et en complices de terroristes, des délinquants affairés à leurs trafics, tenus par des liens de camaraderie exploités par les tueurs pour parvenir à leurs fins. Le visage ordinaire des coulisses du terrorisme était visible lors du verdict mercredi soir, dans la capitale française. Preuve que, lorsque le fanatisme religieux s’empare des fractures et des marges désœuvrées d’une société démocratique et ouverte, le pire peut très vite arriver.
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