France
Le parti d’extrême droite présidé par Marine Le Pen a donc changé de nom. Mais au-delà du vote des militants, ce sont les actes politiques qui démontreront, ou non, sa mutation

La politique est souvent une affaire de mots. En proposant, lors du 16e congrès du Front national à Lille en mars, le changement de nom pour son parti, Marine Le Pen l’avait bien compris. Place, à l’heure de la vague populiste et souverainiste européenne, à une dénomination moins agressive et, surtout, ouverte à de futures alliances. La présidente du FN avait, à l’issue d’une consultation interne, proposé «Rassemblement national». Dont acte. Quelque 80% des militants frontistes, consultés électroniquement, ont donné leur accord et l’annonce officielle est intervenue vendredi. Un choix rejeté aussitôt par le patriarche fondateur Jean-Marie Le Pen, 90 ans dans quelques jours, qui s’est insurgé contre cet «assassinat politique».
Européennes dans la ligne de mire
Difficile, pourtant, de faire entrer la réalité dans cette nouvelle appellation en forme de programme pour le parti d’extrême droite français rivé sur la prochaine échéance électorale: les européennes de mai 2019. Tout en portant le «Rassemblement» sur les fonts baptismaux – après avoir écarté ces derniers mois quelques écueils de procédure liés à la propriété de ce nom, déposé par d’autres – Marine Le Pen a proposé au souverainiste Nicolas Dupont-Aignan de faire liste commune pour le Parlement de Strasbourg. Rien de neuf ici: le député de l’Essonne, élu depuis 1997, avait accepté de faire cause commune entre les deux tours de la présidentielle de 2017. Sans grand impact sur le résultat final: 33,9% pour la candidate du FN face à Emmanuel Macron. Soit un record de voix pour le Front (plus de 10 millions d’électeurs), mais une défaite sans appel face à l’actuel président de la République.
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Comment faire, dès lors, pour élargir ce «rassemblement»? La première piste est bien sûr de lorgner vers la droite traditionnelle, en misant sur la colère des électeurs conservateurs et leur ralliement à un agenda protectionniste, nationaliste et xénophobe. C’est ce credo qu’était venu défendre en mars à Lille Steve Bannon, l’un des inspirateurs de la campagne victorieuse de Donald Trump aux Etats-Unis. En mars, Marine Le Pen avait d’ailleurs effectué un premier pas en soutenant au premier tour le candidat du parti Les Républicains (LR) lors d’une législative partielle sur l’île de Mayotte.
Autre illustration de cette stratégie: l’appel de l’ex-député LR des Français de l’étranger Thierry Mariani à une alliance entre les deux partis. Problème: selon les sondages, environ 70% des Français ne souhaitent pas ce rapprochement. Un chiffre quasi similaire au sein des sympathisants LR, qui le rejettent à 67%… D’autant que l’actuel patron des Républicains, Laurent Wauquiez, entend bien mener cette stratégie souverainiste pour son propre compte, au détriment du Rassemblement national…
La seconde piste, plus crédible au vu du paysage politique français, est d’attirer l’ensemble des votes protestataires en gommant les aspects les plus clivants de la plateforme électorale de l’ex-Front national. En clair: faire triompher le souverainisme au détriment du nationalisme pur et dur. Se montrer intransigeant sur les migrants mais ne plus apparaître comme un parti raciste, arc-bouté sur une morale ultra-catholique.
La question de l’euro
S’y ajoute un élément de taille: l’euro. S’il veut séduire au-delà de son électorat traditionnel anti-européen, le Rassemblement national doit contester l’Union européenne sans toucher dans l’immédiat à l’euro, donc au portefeuille des Français. Mais comment faire, alors que le rejet de la monnaie unique est dans l’ADN de cette formation politique? Et comment imaginer que le ténor de la gauche protestataire Jean-Luc Mélenchon laissera filer ses électeurs de La France insoumise vers un FN réinventé, alors qu’il a longtemps fait de Marine Le Pen son adversaire personnelle? Si cette stratégie peut avoir du sens sur le papier, elle ne paraît guère viable, en l’état, sur le terrain politique.
Reste la troisième piste, qui est au fond celle voulue par Marine Le Pen, dont la jeune nièce Marion Maréchal, ex-députée du Vaucluse, est en train de réapparaître au premier plan avec l’ouverture d’une école de sciences politiques à Lyon. Celle du grignotement local. Celle de l’enracinement au niveau des municipalités. Celle de la conquête par le bas.
Opposition à un président «mondialiste»
Ce calcul, Marine Le Pen y croit, sur la base des progrès réalisés par le FN dans deux de ses bastions: le Nord-Pas-de-Calais – dont elle est députée – et le sud de la France. Le Rassemblement national n’a donc sans doute pas vocation, dans l’immédiat, à partir à l’assaut contre Emmanuel Macron, même si sa présidente pourfend le président «mondialiste et européiste» devant les médias. C’est sur le terrain, dans les villes, dans les quartiers, que son mouvement va agir en priorité, d’ici aux municipales de 2020. Objectif: devenir une force politique incontournable pour des alliances locales. Imposer son programme non par le haut, mais par le bas.
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Par une formidable ironie, l’ex-Front national, parti d’extrême droite contrôlé par une même famille depuis sa création, va jouer dans les prochains mois la décentralisation maximale. En frappant là où la Macronie et la droite élitiste ont le plus de problèmes: dans les territoires périphériques et délaissés par le pouvoir. Or à ce niveau-là, sans bruit et en profitant des colères françaises loin d’être apaisées, le Rassemblement espéré peut fonctionner…