Nicolas Sarkozy a d’ores et déjà fait appel du jugement rendu lundi 1er mars par le Tribunal correctionnel de Paris. Mais en attendant la suite de la procédure, la peine prononcée restera comme un lourd boulet sur le parcours politico-judiciaire de l’ancien président français âgé de 66 ans. Reconnu coupable de «corruption active» et de «trafic d’influence», tout comme son ex-avocat et ami Thierry Herzog, Nicolas Sarkozy écope de 3 ans de prison dont 2 avec sursis simple (abandonné au bout de cinq ans si aucune nouvelle condamnation n’intervient).

Le réquisitoire du procureur du parquet national financier demandait 2 années de prison ferme. Le tribunal s’est donc largement rangé aux arguments de l’accusation. Si la peine est un jour appliquée, Nicolas Sarkozy pourrait devoir porter un bracelet électronique de surveillance à domicile. C’est la première fois qu’un ancien chef de l’Etat est condamné à une peine de prison ferme pour des faits ayant un rapport direct avec son mandat présidentiel. Le 15 décembre 2011, Jacques Chirac avait été, lui, condamné à 2 ans de prison avec sursis pour «détournement de fonds» et «abus de confiance» lorsqu’il était maire de Paris.

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Un deuxième procès dans la foulée

Pour Nicolas Sarkozy, ce jugement intervient au pire moment. A partir du 17 mars, ce dernier se retrouvera à nouveau sur le banc des accusés, pour un second procès sur le dépassement du plafond légal de financement de sa campagne présidentielle de 2012. Le voici aussi condamné par la justice pour la première fois, alors qu’une partie de la droite française continue de fantasmer sur son possible retour et que son rôle de conseiller occulte d’Emmanuel Macron s’est confirmé ces derniers mois.

Une position difficile donc, pour l’ancien locataire de l’Elysée, qui avait combattu avec véhémence les accusations lors du procès en décembre, affirmant que son intervention auprès de son ami Thierry Herzog (condamné à 3 ans de prison dont 2 avec sursis et interdit d’exercer la profession d’avocat pour cinq ans, il a immédiatement interjeté appel), pour obtenir des informations sur l’affaire Bettencourt via le haut magistrat Gilbert Azibert (lui aussi condamné à une peine identique), «relevait du fantasme». Une thèse vigoureusement écartée par le tribunal selon lequel le «pacte de corruption entre les trois hommes» – Azibert lorgnait un poste à Monaco, que Sarkozy et Herzog promettaient de lui obtenir – résulte bien d’un faisceau d’indices concordants visant à corrompre le processus judiciaire dont le chef de l’Etat entre 2007 et 2012, était le garant. Le tribunal a également refusé de considérer que les écoutes téléphoniques d’une ligne clandestine ouverte au nom de Paul Bismuth, ne devaient pas entrer dans la procédure. L’ex-président est également soupçonné dans le cadre des investigations sur le possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, à l’origine des écoutes incriminées. Il est enfin mis en cause dans le financement opaque de sondages commandés pour l’Elysée par son conseiller des années 2008-2011 Patrick Buisson.

Une volonté d’émancipation des juges

Pour tous ceux, juges et journalistes, qui enquêtent sur les différentes affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy se retrouve cité ou mis en examen, ce premier jugement témoigne d’une volonté claire de l’institution judiciaire de mettre au jour la réalité de pratiques passées et délictueuses. Le tribunal a ainsi choisi de retenir la grande majorité des retranscriptions d’écoutes téléphoniques de septembre 2013 au printemps 2014 sur une ligne clandestine ouverte au nom de Paul Bismuth, alors que les avocats de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog demandaient leur abandon. Les termes du jugement sont très sévères. Outre le «faisceau de concordances prouvant le pacte de corruption», les magistrats ont estimé que l’avocat Thierry Herzog, violant le secret judiciaire, avait fait prévaloir son amitié pour l’ancien président sur le respect de la loi. Idem pour Gilbert Azibert qui occupait alors l’une des fonctions les plus élevées dans la hiérarchie judiciaire.

Dans une France où les liens entre la magistrature et l’exécutif sont toujours pointés du doigt, cette affaire confirme la volonté d’émancipation des juges, dont Nicolas Sarkozy a toujours dénoncé l’acharnement contre sa personne. Elle confirme aussi, tristement, les liens de pouvoir entre une partie de la hiérarchie du Ministère de la justice incarnée par l’ex-magistrat Gilbert Azibert, et la classe politique qui distille les appuis indispensables aux brillantes carrières.

Derrière la condamnation de Nicolas Sarkozy, c’est un système français dévoyé qui a été aujourd’hui durement sanctionné par le Tribunal correctionnel de Paris. Avec, toujours, le risque de voir les élus estimer qu’une telle condamnation, basée sur des interceptions téléphoniques ordonnées dans une autre affaire, est un pas de plus vers un «gouvernement des juges».