Publicité

Rinat Akhmetov: «Je suis fier qu’Azovstal soit notre bastion de résistance à Marioupol»

L’oligarque ukrainien est le propriétaire de l’immense aciérie où résistent les derniers soldats ukrainiens. L’homme d’affaires dit avoir choisi son camp «il y a longtemps». Entretien exclusif

L'oligarque ukrainien Rinat Akhmetov se félicite après que son club le Chaktar Donetsk ait remporté le championnat ukrainien , le 5 mai 2010 — © Andrey Lukatsky / keystone-sda.ch
L'oligarque ukrainien Rinat Akhmetov se félicite après que son club le Chaktar Donetsk ait remporté le championnat ukrainien , le 5 mai 2010 — © Andrey Lukatsky / keystone-sda.ch

Avant l’invasion de son pays, Rinat Akhmetov était considéré comme l’homme le plus riche d’Ukraine. Cet oligarque, natif de Donetsk dans le Donbass, s’est construit un empire dans la finance, les médias, les télécoms, le commerce de détail, l’agriculture ou les transports. Il est le seul investisseur et propriétaire de la société SCM. Il possède par ailleurs le club de football du Chakhtar Donetsk, habitué des compétitions européennes. Mais ce sont les activités minières et métallurgiques de Rinat Akhmetov qui sont aujourd’hui les plus menacées par l’invasion russe. Sa société Metinvest est en effet propriétaire de l’immense aciérie Azovstal, dans la ville portuaire de Marioupol. Deux mille combattants ukrainiens, dont des membres du bataillon Azov accusés par Moscou d’être des «néonazis», mais aussi des centaines de civils sont toujours retranchés dans des bunkers sous l’usine. Rinat Akhmetov a répondu par écrit aux questions du Temps.

Le Temps: Jeudi 21 avril, Vladimir Poutine a revendiqué la «libération» de Marioupol. Les forces russes, a-t-il déclaré, contrôlent totalement la ville, à l’exception de votre usine Azovstal. Est-ce également votre évaluation?

Rinat Akhmetov: Non, ce n’est absolument pas le cas. Marioupol a toujours été et sera une ville ukrainienne. Les Ukrainiens défendent farouchement chaque pouce du sol ukrainien. Je suis fier qu’Azovstal soit notre bastion de résistance. Je crois que nos soldats seront en mesure de défendre la ville et que les citoyens de Marioupol seront évacués. Je crois également que les soldats russes seront punis pour tous les crimes qu’ils ont commis en Ukraine et à Marioupol. La situation dans la ville est une tragédie et un désastre horrifiant qui ne peuvent être pardonnés.

Lire également: A Marioupol, la Russie proclame une première victoire significative

Dans une interview avec l’agence Reuters, vous avez dit que vous étiez en contact quotidien avec les dirigeants de vos usines Azovstal et Illich Iron and Steel Works à Marioupol. Quelle est la situation sur place?

L’armée russe continue de détruire Marioupol et ses deux usines. Illich Iron and Steel Works et Azovstal sont constamment bombardées et pilonnées. Nous avons arrêté la production et ne la reprendrons qu’après notre victoire.

Combien de travailleurs de Metinvest se trouvent encore dans les abris d’Azovstal?

Il s’agit de la vie et de la sécurité des gens. Je ne peux pas divulguer cette information.

Quelles sont l’histoire et la raison d’être des souterrains?

Les abris anti-bombes ont été construits en même temps que l’usine, en 1933. Selon les normes civiles et industrielles, toutes les constructions défensives doivent se trouver à proximité directe des lieux de travail des employés.

Combien de temps les occupants de ces abris peuvent-ils encore tenir et que recommandez-vous pour résoudre cette situation?

Tant les civils que nos soldats se trouvent dans des conditions inhumaines. Chaque minute de retard peut leur coûter la vie. Nous devons arrêter cela tout de suite et évacuer les gens. La seule façon de le faire est de convenir de couloirs humanitaires avec l’engagement de représentants de l’ONU et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Cependant, toutes les tentatives d’organiser un passage sûr pour les habitants de Marioupol ont été interrompues par les attaques russes.

Quelle est l’ampleur des dommages subis par l’usine Azovstal?

La capitalisation avant la guerre de nos deux usines – Azovstal et Illich Iron and Steel Works – était d’au moins 10 milliards de dollars. Nous préparons des actions en justice pour exiger de la Russie des indemnisations pour toutes les pertes infligées à nos entreprises.

Qu’est-ce qui vous fait espérer que Marioupol reviendra sous contrôle ukrainien, afin que votre entreprise puisse à nouveau y travailler?

La confiance en l’Ukraine, l’héroïsme et le courage de nos soldats, l’unité de la nation ukrainienne et le soutien sans précédent apporté à notre pays par l’ensemble du monde libre et civilisé. Je leur en suis très reconnaissant.

Vos entreprises ont perdu de nombreux actifs en raison de la guerre. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi le camp du président ukrainien Volodymyr Zelensky?

J’ai fait mon choix il y a longtemps. En tant que natif de la ville ukrainienne de Donetsk, je suis devenu le plus grand investisseur privé de notre pays. En 2014, j’ai condamné amèrement le séparatisme et déclaré que le Donbass ne pouvait être heureux que dans une Ukraine unie. En 2022, alors que la guerre éclatait, j’ai qualifié Poutine de criminel de guerre. Aujourd’hui, l’Ukraine est unie comme jamais auparavant, car nous avons la volonté de l’emporter. En tant que président du pays, Volodymyr Zelensky fait preuve d’une véritable dignité en accomplissant son devoir constitutionnel de défendre l’Ukraine. Chaque Ukrainien, moi y compris, fait tout ce qui est en son pouvoir pour aider l’Ukraine à obtenir la victoire.

Quelle est l’importance de la Suisse pour vos affaires?

Nous sommes une entreprise internationale. Pour nous, la Suisse est à la fois le lieu d’implantation de nos entreprises – Metinvest International SA, D. Trading SA et D. Trading International SA, qui y opèrent depuis plus de deux décennies – et un pays doté d’une culture d’entreprise et de normes commerciales très élevées qui nous poussent à nous développer et à nous améliorer en permanence.

Quels sont vos liens personnels avec la Suisse, nous avons récemment rapporté que votre fils avait acheté deux propriétés à Genève. Y venez-vous souvent?

Mes fils sont nés à Donetsk et ont étudié en Suisse. C’est en Suisse que mon fils aîné Damir a rencontré sa future épouse Diana. Ils sont allés à l’école ensemble. Aujourd’hui, toute leur famille et mes petits-enfants vivent en Suisse. Je rends souvent visite à ma famille dans votre beau pays.

Lire aussi: A Genève, le fils d’un oligarque ukrainien s’offre deux villas à 104 millions

Pensez-vous que la Suisse pourrait faire davantage pour l’Ukraine?

La décision de votre pays de soutenir l’Ukraine et d’imposer des sanctions sans précédent contre la Russie mérite un grand respect. J’en suis reconnaissant à la Suisse et à l’ensemble du monde libre. Nous nous battons pour notre liberté et celle de l’Europe. Nous avons la force et la volonté de nous battre. Je suis convaincu que nous allons gagner cette guerre.