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Au Royaume-Uni, les grèves se durcissent dans l’impasse politique

La plus grande journée de grève depuis trente ans se déroule ce mercredi, étendant la grogne sociale aux écoles. Le gouvernement parie sur le pourrissement du mouvement. En vain pour l’instant

Des manifestants à Londres, le 30 janvier 2023. — © Vuk Valcic / IMAGO / ZUMA Wire
Des manifestants à Londres, le 30 janvier 2023. — © Vuk Valcic / IMAGO / ZUMA Wire

Et maintenant, les enseignants. Ce mercredi, les professeurs des 23 400 écoles, collèges et lycées d’Angleterre et du Pays de Galles rejoignent le vaste mouvement de contestation sociale qui secoue le Royaume-Uni depuis l’été dernier. La journée promet d’être la plus grande grève coordonnée du Royaume-Uni depuis trois décennies: outre les enseignants, les cheminots de 15 compagnies ferroviaires vont débrayer, ainsi que 100 000 fonctionnaires travaillant pour 124 agences différentes, dont celles des statistiques, des douanes, des autoroutes, des examinateurs faisant passer les permis de conduire… Le gouvernement a appelé à la rescousse 600 militaires, notamment pour assurer le contrôle des passeports dans les aéroports.

Après six mois de contestation rampante, commencée au début de l’été 2022, le mouvement semble se durcir. Dans les milieux proches du pouvoir, la fermeture annoncée d’une grande majorité des écoles inquiète. «La grève des enseignants pourrait marquer un tournant», s’alarme en privé une députée conservatrice influente. Elle qui n’est pourtant pas tendre avec les syndicats («Tous des militants corporatistes qui ne s’intéressent qu’à leurs salaires!») estime que la journée d’action de ce mercredi va probablement avoir une portée symbolique importante. «Jusqu’à présent, beaucoup de gens pouvaient contourner les grèves des transports en travaillant de chez eux. Mais cette fois-ci, ils vont se retrouver avec leurs enfants à la maison, dans un écho de ce qui se passait pendant la pandémie.» Jusqu’à 4,5 millions d’enfants pourraient voir leur établissement fermé.

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L’inflation au cœur du mouvement

Le grand problème du moment est l’inflation, qui dépasse 10% et réduit d’autant le pouvoir d’achat des Britanniques. Après une décennie d’austérité dans la fonction publique, le résultat est un choc majeur pour le portefeuille de nombreux Britanniques. Les infirmières calculent qu’elles ont perdu 19% de pouvoir d’achat depuis 2010. Les enseignants estiment que le recul atteint 23% dans leur cas. «Le tiers des enseignants quittent la profession au bout de cinq ans», s’alarme leur syndicat, le NEU. Dans ces conditions, les Britanniques se montrent plutôt solidaires envers les grévistes: 37% des Britanniques les soutiennent, alors que 28% s’y opposent, selon un sondage pour Sky News.

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Dans ces circonstances, beaucoup de Britanniques risquent de s’agacer de l’attitude inflexible du gouvernement de Rishi Sunak, craint la même députée. Car cette vaste contestation sociale place le premier ministre britannique dos au mur, alors qu’il «fête» jeudi ses 100 jours au pouvoir. Si la panique financière est enrayée et qu’un certain calme est revenu, après la tempête provoquée par l’éphémère première ministre Liz Truss, les difficultés s’accumulent.

Sur le front économique, le Fonds monétaire international prévoit que le Royaume-Uni sera cette année le seul grand pays occidental en récession, avec un recul du PIB de 0,6% prévu pour 2023. En comparaison, l’Allemagne, pourtant plus dépendante du gaz russe, doit stagner (+0,1%) et la zone euro connaître une légère croissance (+0,7%).

Au niveau politique, Rishi Sunak peine à maîtriser ses propres troupes, à commencer par le trublion Boris Johnson. Son décoiffé prédécesseur lui fait régulièrement de l’ombre, se faisant encore recevoir à Kiev par Volodymyr Zelensky le 22 janvier. L’homme, qui se rêve en Winston Churchill, s’est fendu d’un grand article estimant que l’Ukraine devait devenir membre de l’OTAN, allant à l’opposé de la ligne officielle britannique.

Sondages abyssaux

Quant aux sondages, ils sont abyssaux: le parti conservateur tourne autour de 27% de soutien, tandis que les travaillistes sont à 48%. Dimanche, le premier ministre britannique a encore dû mettre à la porte le président du Parti conservateur, Nadhim Zahawi, coupable d’une fraude fiscale de 5 millions de livres (5,7 millions de francs).

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Avec une telle impopularité, et des grévistes soutenus par la population, le gouvernement britannique hésite sur l’attitude à adopter. D’un côté, Rishi Sunak tente de se présenter comme «Mr. Reasonable», affirmant qu’il «adorerait» accorder une augmentation de 19% aux infirmières, conformément à leurs revendications, mais que l’Etat ne peut pas se le permettre. De l’autre, il ordonne aux ministres de refuser de céder du terrain sur les revendications salariales. Il durcit aussi le droit de grève, avec une nouvelle loi imposant un service minimum. Voté en troisième lecture à la Chambre des communes lundi, le texte s’apprête à être examiné par les Lords. Il prévoit, comme son nom l’indique, d’imposer un service minimum dans les services publics, notamment dans les transports et la santé. Le Parti travailliste le qualifie de «loi pour licencier les infirmières» et a promis de s’en débarrasser s’il parvient au pouvoir aux prochaines élections.

Cette volonté de faire pourrir la situation ne semble pas décourager les grévistes, bien au contraire. Le syndicat des enseignants a prévu sept jours de grèves, avec plusieurs journées de contestation limitées à certaines régions en février, puis deux journées de grève nationale en mars. En parallèle, les services de santé seront très fortement perturbés la semaine prochaine: tous les jours – à l’exception de mercredi –, des débrayages des infirmières, des ambulanciers et des kinésithérapeutes sont prévus. Pour l’instant, tout indique que l’affrontement va continuer.