«Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous la forme d’une République?» Telle est la question qui sera posée le 1er octobre prochain aux quelque sept millions de Catalans. C’est en tout cas le souhait des autorités séparatistes qui gouvernent cette région turbulente depuis 2012: hier en fin de matinée, devant le palais de la Generalitat à Barcelone, le chef de l’exécutif catalan Carles Puigdemont, entouré de sa garde prétorienne, a solennellement annoncé sa détermination à organiser une consultation pour cette date, «quel qu’en soit le prix».

Confrontation programmée

Le numéro 2 de son exécutif, le séparatiste de la première heure Oriol Junqueras, a renchéri: «Ce sera le moment crucial. Il n’est plus acceptable que le pouvoir central interdise de façon réitérée aux citoyens de Catalogne l’exercice de leur droit fondamental à choisir leur appartenance à une nation ou une autre.» La question du référendum réclamé avec insistance exprime aussi une alternative sous-jacente: le choix entre une Monarchie constitutionnelle, l’Espagne, et une République, que pourrait devenir la Catalogne.

La confrontation avec Madrid est programmée. Depuis qu’en septembre 2012, les nationalistes catalans ont promis un référendum d’autodétermination, les tensions se sont accumulées entre les deux camps. Le 9 novembre 2014, soutenus par le même exécutif catalan, deux collectifs citoyens indépendantistes, Omnium Cultural et l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC), avaient organisé une consultation «illégale» (rejetée par Madrid), obtenant un «oui» très majoritaire mais atténué par une participation de seulement 35%.

«Tolérance zéro»

A l’époque, le pouvoir central avait laissé faire. Le tribunal constitutionnel, lui, avait assis sur le banc des accusés plusieurs dirigeants séparatistes, dont Artur Mas, le principal instigateur de ce pari sécessionniste, aujourd’hui déclaré inéligible par les magistrats. Cette fois, le pouvoir central a prévenu qu’il appliquerait «la tolérance zéro». «Le référendum catalan n’aura tout simplement pas lieu», a confirmé hier Soraya Saenz de Santamaria, la «numéro deux» du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy.

Dans ce bras de fer, aucune issue ne semble se profiler. Ces dernières semaines, le pouvoir catalan séparatiste – qui dispose d’une courte majorité de sièges au parlement régional, 72, quatre de plus que la majorité absolue – pousse Madrid «à négocier» la tenue d’une consultation, sur les modèles de l’Ecosse et du Québec. Une solution consensuelle défendue aussi par certains dirigeants socialistes et par le parti Podemos, la troisième force parlementaire du pays.

Collision ou marchandage

Mais Mariano Rajoy a opposé un «No» absolu aux séparatistes, acceptant tout juste qu’ils exposent leur souhait devant les députés nationaux qui s’opposent de façon ultra-majoritaire à un référendum unilatéral. Reste, d’ici le 1er octobre, la possibilité d’un dialogue entre Rajoy et Puigdemont: «Ma porte restera ouverte jusqu’à la derrière minute», a souligné hier ce dernier. Mais, du côté du pouvoir central, il est difficile d’imaginer une quelconque concession.

Se dirige-t-on, par conséquent, vers ce qu’on appelle métaphoriquement en Espagne un «choque de trenes», une collision de trains, c’est-à-dire de forces antagonistes? Pas forcément, aux dires de beaucoup. A commencer par le porte-parole du gouvernement central, Iñigo Mendez de Vigo, pour qui «la stratégie unilatérale des Catalans ne conduit nulle part. Ce ne sont que des paroles en l’air.» Une opinion que partage Albert Rivera, l’énergique et jeune leader du parti centriste «Ciudadanos», farouchement antinationaliste: «Même les leaders catalans ne croient pas qu’il y aura un référendum». Autrement dit, tout en sachant l’impossibilité de la tenue d’une consultation – car le pouvoir central ne le permettrait pas –, Carles Puigdemont et les siens pratiqueraient une sorte de «chantage à l’indépendance», selon l’expression du politologue Antonio Elorza.

Ce que je crois, c’est que les séparatistes poussent la confrontation au maximum, pour obliger Madrid à réagir par la force, et apparaître donc comme des martyrs d’une cause juste.

Si le référendum ne pouvait avoir lieu, a menacé l’exécutif à Barcelone, le «Parlament» (le parlement autonome) déclarerait la sécession de manière unilatérale. «Ce que je crois, estime Antonio Elorza, c’est que les séparatistes poussent la confrontation au maximum, pour obliger Madrid à réagir par la force, et apparaître donc comme des martyrs d’une cause juste.» Ou bien, affirment d’autres, pour forcer l’exécutif central à une renégociation des compétences de la région catalane, à commencer par une pleine souveraineté fiscale, à l’image de celle dont jouissent le Pays Basque et la Navarre.