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En six mois, la guerre a transformé l’Union européenne

Les Vingt-Sept accordent le statut de candidat à l’adhésion à l’Ukraine et à la Moldavie. Il leur faut à présent rassurer les Européens

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen quitte un sommet européen qualifié d'«historique» accompagnée du président Emmanuel Macron et du président du Conseil Charles Michel. Bruxelles, 24 juin 2022. — © LUDOVIC MARIN / AFP
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen quitte un sommet européen qualifié d'«historique» accompagnée du président Emmanuel Macron et du président du Conseil Charles Michel. Bruxelles, 24 juin 2022. — © LUDOVIC MARIN / AFP

«L’Union européenne (UE) de juin 2022 est très différente de celle de janvier 2022.» Emmanuel Macron a conclu un sommet européen dominé par l’Ukraine sur ce constat d’un continent en pleine transformation. La présidence française de l’Union avait débuté avec l’ambition de renforcer l’Europe grâce à un grand programme de relance vert, elle s’achève avec un plan d’élargissement et un sixième train de sanctions contre la Russie qui bouleverse son approvisionnement énergétique.

En accordant le statut de candidat à l’adhésion à l’Ukraine et à la Moldavie, jeudi soir, les Vingt-Sept ont validé un nouveau processus unanimement qualifié d’«historique». Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, s’est dite convaincue que cette décision de nature à transformer le continent «nous renforcera tous, les Ukrainiens face à l’agression russe, et les Européens dans leur unité». C’est aussi un pari risqué. Mais l’Europe avait-elle le choix? «Nous aurions laissé un vide si nous ne tendions pas la main» à ces deux pays, s’est défendu le président français. «Et nous ne pouvions pas laisser s’installer un vide. C’est cela le sens de notre décision. Oui, c’est géopolitique et je l’assume totalement.» La France a longtemps fait partie des pays qui ont freiné tout nouvel élargissement de l’UE au détriment d’un renforcement de l’intégration. «Il y a une tension entre la réalité géopolitique et l’approfondissement de notre Europe, a reconnu Emmanuel Macron. Mais face à la guerre, il était de notre devoir d’agir. Nous le devions au peuple ukrainien qui se bat pour nos valeurs et notre territoire.»

Le risque d’une «fatigue de la guerre»

Certains s’inquiètent d’une précipitation. «Il s’agit d’un nouvel élargissement à marche forcée, explique un ancien haut diplomate bruxellois qui a été confronté aux bouleversements post-soviétiques. Si l’on peut comprendre le raisonnement du Conseil qui devait offrir une perspective politique à l’Ukraine en particulier, la négociation d’adhésion sera longue et compliquée avec un premier danger, celui de sacrifier la qualité de cet élargissement comme cela avait été le cas avec la Roumanie et la Bulgarie.» Autre danger, celui d’une opinion publique qui peine à encaisser ce coup d’accélérateur. «Après l’enthousiasme du sommet, les réticences pourraient reprendre le dessus.» Avant de se rallier, quatre pays en particulier ont fait part de leur scepticisme: le Portugal, le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas. Ce dernier pays s’était d’ailleurs opposé, lors d’un référendum, à un accord d’association avec l’Ukraine par le passé. L’ancien diplomate veut pourtant croire à la capacité des Européens à maintenir leur unité face à la Russie «contrairement à ce qui s’était produit lors de l’invasion de l’Irak» par les Etats-Unis.

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Ce risque d’une «fatigue de la guerre» qui guette les Européens a été souligné par la présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola. «Il serait faux de supposer que l’opinion publique continuera d’orienter nos actions en faveur de l’Ukraine ou de sous-estimer l’étendue de l’influence russe, a-t-elle déclaré en marge du sommet. Nous devons reconnaître que la lassitude alimentée par l’inflation s’installe, que nous voyons de nombreux cas où la résilience de nos citoyens face à l’impact social et économique s’affaiblit et que nous devons réagir plus fort. Nous devons contrer le récit du Kremlin et non nourrir les peurs qu’il propage.»

Vers une «communauté politique européenne»

Après avoir acté le ralliement de l’Ukraine et de la Moldavie à la «famille européenne», les Vingt-Sept ont donc discuté des moyens d’atténuer l’impact économique de la confrontation avec Moscou. Ursula von der Leyen affirme que l’UE est en voie de «se défaire de sa dépendance aux hydrocarbures russes». La priorité est donnée à l’approvisionnement énergétique et au contrôle des prix. Sa stratégie passe par la diversification des ressources, l’efficacité énergétique et le développement de nouveaux marchés avec les Etats-Unis, l’Egypte, Israël, la Norvège, l’Azerbaïdjan ou l’Algérie. Interpellés sur les blocages constatés lors de ce même sommet sur le processus d’adhésion de plusieurs pays des Balkans, et la différence de traitement dénoncée par ces derniers, Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Charles Michel, le président du Conseil européen, ont plaidé la bonne foi et confirmé que les engagements seront respectés. La pression a été mise en particulier sur la Bulgarie dont le parlement a finalement voté, vendredi, la levée de son veto visant la Macédoine du Nord, lequel bloque également le processus d’adhésion de l’Albanie.

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«Pour être honnête, a indiqué Emmanuel Macron à ce propos, nous formons une famille, nous habitons dans la même rue, mais pas forcément dans la même maison. C’est pour cela que je propose une communauté politique européenne.» Cette ancienne idée française d’un espace européen plus large que l’Union a été reprise dans le message de conclusion du sommet. La prochaine présidence tchèque devrait convoquer d’ici à la fin de l’année une première réunion sur ce thème. La France évoque un espace allant de «l’Islande à l’Ukraine», de «l’Atlantique jusqu’aux frontières russes et turques», ce qui semble exclure la Turquie, pourtant toujours officiellement candidate à l’adhésion. «A l’époque, François Mitterrand parlait d’un espace incluant la Russie. Ce n’est plus le cas», a encore souligné Emmanuel Macron. Cette communauté devrait inclure «des Etats membres, des Etats candidats, des Etats associés, sur un pied d’égalité». Il a évoqué le Royaume-Uni. Mais la formule pourrait aussi intéresser la Suisse. Les dirigeants européens veulent toutefois s’assurer que ce nouveau processus s’inscrit dans le cadre institutionnel existant et qu’il «ne se substitue pas à l’élargissement».

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