«Le système électrique ukrainien est au bord de l’effondrement»
Humanitaire
AbonnéSecrétaire général du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland témoigne de l’impact dévastateur des frappes russes contre les infrastructures civiles ukrainiennes
Le courant commençait seulement à être rétabli vendredi à Kiev deux jours après une nouvelle vague de frappes russes contre le réseau électrique ukrainien. Mais la moitié des habitants de la capitale étaient toujours privés d’électricité. Ancien coordinateur de l’ONU pour l’aide humanitaire, Jan Egeland est le secrétaire général du Norwegian Refugee Council, l’une des plus importantes ONG humanitaires du monde. Il s’apprêtait à repartir de Kiev après une mission d’une semaine à travers l’Ukraine.
«Un voyage dans l’obscurité, décrit-il. Une société urbaine ne peut pas fonctionner sans électricité.» L’absence de courant complique l’accès à l’eau, par exemple dans les étages supérieurs des bâtiments faute de pression suffisante dans les canalisations. Et sans électricité, plus de chauffage. «J’ai rencontré des personnes âgées qui n’avaient ni eau, ni électricité depuis trois jours et trois nuits, car elles habitaient au 20e étage d’un immeuble», relate l’humanitaire norvégien. Jeudi, la plupart des régions de l’Ukraine étaient encore dans le noir, selon l’ONU. Vendredi, des villes comme Odessa, Zaporijjia ou Tchernihiv essayaient encore de rétablir l’électricité. En revanche, toutes les centrales nucléaires ont pu être raccordées au réseau, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, écartant les risques d’emballement des réacteurs.
La situation est encore pire près de la ligne de front. «Nous avons effectué les premières distributions d’aide dans un village près de Kharkiv repris récemment par l’armée ukrainienne. Les habitants n’avaient pas reçu le moindre soutien depuis le mois de juin», continue Jan Egeland. Le Norvégien a aussi eu des bribes d’informations sur les conditions dans les territoires ukrainiens contrôlés par les forces russes. «La ville de Zaporijjia est le seul point de sortie pour les habitants de Marioupol. Une femme de 91 ans nous a dit qu’elle s’était résolue à fuir la ville, car les conditions de survie étaient trop mauvaises. Il faut que les Russes ouvrent des couloirs humanitaires vers les régions qu’ils contrôlent pour acheminer l’aide durant l’hiver», plaide-t-il.
Travail de Sisyphe
«Nous ne devons pas renoncer à exiger de la Russie qu’elle cesse ses bombardements contre les infrastructures civiles, qui constituent un crime contre l’humanité. Ils menacent de faire geler les plus vulnérables: les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées», s’insurge Jan Egeland. Face aux attaques incessantes, près de 70 missiles encore ce mercredi, selon l’armée ukrainienne, l’humanitaire avoue être démuni. «Les autorités ukrainiennes nous disent que le système électrique est au bord de l’effondrement. L’Ukraine pourra-t-elle continuer à réparer le réseau? Personne ne le sait.»
Lire aussi: Sous le feu russe, la liste infinie des crimes de guerre
Vendredi, Volodymyr Koudrytsky, président du conseil d’administration d’Ukrenergo, l’agence électrique ukrainienne, se voulait rassurant. Il déclarait que le pire était passé et que le courant serait rétabli d’ici à quelques jours mais que les Ukrainiens continueraient à subir des rationnements. Mais il craignait de prochaines frappes russes et demandait davantage d’aide des pays européens, pour réussir encore et encore à réparer les dégâts.
Les autorités ukrainiennes ont aussi évoqué avec Jan Egeland l’évacuation d’un demi-million d’habitants des régions les plus exposées aux bombardements et où il sera difficile de rétablir le courant. Vendredi, le gouverneur de Kherson, ville du sud du pays reprise par l’armée ukrainienne il y a deux semaines, annonçait l’évacuation des patients des hôpitaux. Jan Egeland prévoit une augmentation de l’arrivée de réfugiés ukrainiens vers les pays européens ces prochaines semaines. «Les gens auront le choix entre geler et fuir», dit-il, alors que les bâtiments vont progressivement se refroidir si les coupures d’électricité et de chauffage se poursuivent. Depuis Kiev, Violaine Des Rosiers, responsable des programmes en Ukraine de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, anticipe elle aussi une augmentation des déplacements de population.
L’ONU a annoncé de Genève que 400 générateurs ont été livrés aux hôpitaux ou aux écoles ukrainiennes. Elle prévoit l’acheminement de milliers d’autres de ces équipements. De leur côté, les autorités ukrainiennes mettent en place des milliers de centres où la population pourra se réchauffer. «Nous devons endurer cet hiver, un hiver dont tout le monde se souviendra», a prévenu vendredi sur Facebook le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.