La Tchétchénie fâche Moscou avec l’OSCE
Russie
Un rapport de l’OSCE épingle Moscou sur la situation des droits humains en Tchétchénie. La Russie nie en bloc et se prépare à une confrontation qui pourrait se terminer au Tribunal pénal international

Un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) publié jeudi rappelle sévèrement à l’ordre Moscou pour les graves violations aux droits humains perpétrées en Tchétchénie au cours des deux dernières années. Il pointe une campagne de persécution massive contre les homosexuels, de multiples cas de torture, d’enlèvements et d’exécutions extrajudiciaires menées par les forces de l’ordre tchétchènes. «Les victimes incluent, sans toutefois s’y limiter, des personnes LGBTI, des défenseurs des droits de l’homme, des avocats, des médias indépendants et les organisations de la société civile. Il règne un climat d’impunité qui exclut toute responsabilité pour les auteurs de violations des droits humains», note le rapport.
Wolfgang Benedek, à l'origine du rapport, note «les efforts pour porter l’ensemble de la campagne contre les personnes LGBTI devant le Tribunal pénal international pour crime contre l’humanité». Toutefois, ce rapport accablant pour la Russie n’a été signé que par 16 pays membres de l’OSCE, et la Suisse ne fait pas partie des signataires.
Toute-puissance du clan Kadyrov
L’OSCE active pour la première fois le «mécanisme de Moscou» contre la Russie. Cette procédure, imaginée et votée à Moscou en 1991, est activée lorsque l’un des 57 Etats membres de l’OSCE enfreint ses obligations du fait que des crimes sont systématiquement commis contre ses citoyens. Il s’agit de justifier une ingérence dans les affaires intérieures du pays contrevenant, car «les engagements dans la protection des droits humains sont l’affaire de tous les Etats participants et ne relèvent pas exclusivement des affaires intérieures de l’Etat concerné». Le rapport souligne la mauvaise volonté russe à mener des enquêtes et à punir les coupables. «Les autorités russes responsables des enquêtes sur les crimes en Tchétchénie ne semblent pas avoir assumé leurs responsabilités […]. La Tchétchénie est traitée comme un cas particulier et un domaine où un régime spécial d’impunité est toléré pour des raisons de stabilité.»
Le «régime spécial» existant en Tchétchénie est bien connu en Russie. Les médias russes, y compris ceux proches du Kremlin, exposent en long et en large la «brutalité des mœurs tchétchènes» et celle de son leader, Ramzan Kadyrov, qui règne sans partage depuis 2011 sur les 1,3 million de Tchétchènes. Moscou ferme les yeux sur l’instauration officieuse de la charia, des «crimes d’honneur», de la polygamie et de la toute-puissance du clan Kadyrov.
Le «fantassin» de Poutine
Habitué des rodomontades et des postures ubuesques, Ramzan Kadyrov étale son adoration pour le président russe et se décrit comme son «fantassin». Lors des scrutins fédéraux, où aucun contrôle extérieur n’est admis, la république offre invariablement un score de 98% ou plus en faveur de Vladimir Poutine. La rébellion indépendantiste a été quasiment anéantie et présente une façade de stabilité dans un Caucase volcanique. Vladimir Poutine lui est particulièrement gré d’avoir retiré la Tchétchénie des dossiers brûlants. Son poids politique excède largement les frontières tchétchènes et Ramzan Kadyrov pose en protecteur de tous les musulmans de Russie, même si son autorité est contestée (en catimini). Il a su organiser des manifestations massives à Grozny contre Charlie Hebdo (après l’attentat de 2015) et même à Moscou (en 2017, contre le génocide des Rohingyas en Birmanie). Une bonne partie de la police militaire russe en Syrie est composée de Tchétchènes et Kadyrov développe sa propre diplomatie dans le Golfe, auprès des dirigeants sunnites.
Pour tous ces services rendus, Ramzan Kadyrov dispose des coudées franches dans son bastion. «Il est le seul à contrôler directement les organes de sécurité [dans sa région], organes qui, partout ailleurs, prennent leurs ordres au niveau fédéral», note Ekaterina Sokirianskaïa, directrice de projet pour la Russie et le Nord Caucase à l’ONG International Crisis Group. Le président tchétchène a pris une telle importance que beaucoup d’observateurs estiment que le démontage du système Kadyrov serait périlleux pour le Kremlin.
Moscou riposte au rapport de l’OSCE
Entre le risque d’encourir de nouvelles critiques occidentales, voire une procédure pénale internationale à La Haye, et celui de «lâcher» l’un des piliers cruciaux du régime, Moscou n’a pas hésité longtemps. Répondant au rapport, la Russie se dit «convaincue que les préoccupations et les accusations concernant la situation [humanitaire] sont partiales et sans fondement. En outre, elles démontrent clairement la politique de «deux poids deux mesures» de l’OSCE qui ne peuvent qu’accroître sa dégradation», a réagi Vladimir Zheglov, représentant de la Russie auprès de l’OSCE.